Le mai 68 des aviateurs
On parle beaucoup de mai 68 en ce moment (début 2018), cinquantenaire de l’événement oblige. Les journalistes, émus jusqu’au fondement, en font des tonnes avec invitations des anciens combattants des deux camps, étudiants -Dany le Rouge- et CRS, avec évocations sonores et/ou filmées. Nous ne sommes pas loin des plaques et des gerbes sur le boulevard Saint-Michel. Car il n’y a qu’à Paris que ce fut glorieux. On peut s’étonner que tout ce chambardement ait abouti pour certains révolutionnaires à élever des chèvres, mais passons…
Voici donc la lettre d’un camarade qui évoque ce glorieux passé.
« Mai 1968, j’avais 28 ans. J’étais officier mécanicien (lieutenant) à la 61 ème escadre de transport basée à Orléans-Bricy. Nous possédions des Nord 2501 et depuis fin novembre 1967 des 160 Transall qui nous étaient livrées à petite cadence par les Allemands de Hambourg. L’immobilisation des moyens de transport civils, Air France et SNCF, le manque progressif de carburant, firent que le gouvernement se tourna entre autres, vers la 61 ème escadre pour assurer le transport de ministres, hauts fonctionnaires et PDG de grandes entreprises qui avaient des rendez-vous à l’étranger. Voire pour le transport des valises diplomatiques, ou autre chose, dans des caissettes scellées.
C’est ainsi que furent assurées les liaisons vers les capitales européenne ou africaines, dans la limite d’autonomie des appareils, comme une quelconque entreprise civile de transport aériens. Le confort en moins. Nous n’étions pas équipés pour cela. Les Nord 2501 vieillissants et les Transall trop peu nombreux et sujets à des pannes de jeunesse firent que tout le poids de l’aventure pesa sur les épaules des hommes. Celles des pilotes, en nombre réduit et pas encore totalement formés sur le Transall et sur celles des mécaniciens qui devaient régénérer le potentiel de vol des avions en travaillant de l’aube à la nuit sept jours sur sept. Si les pilotes et navigateurs qui assuraient parfois plusieurs rotations dans la journée, certains dormaient sur place, étaient épuisés, les mécaniciens exténués et peu nombreux devaient également faire des dépannages hors de France, de jour comme de nuit, ce qui nous pénalisait un peu plus.
Je dois dire que les derniers jours de mai furent difficiles. Lorsque je me trouvais parmi les mécanos, tous sous-officiers, je ressentais leur grogne comme une onde presque palpable. « Et nous, qu’avons-nous à gagner de ce bordel ? » me disaient-ils. La révolte ne fut pas loin. D’autant que certains passagers mal embouchés trouvaient les moyens de transport peu confortables et nous le disaient vertement. Que répondre à cette dame qui s’offusquait d’avoir une volumineuse barre de remorquage de Transall entre les pieds ? Outil qui devait aider au dépannage à Berlin ou ailleurs. Que répondre à ce fonctionnaire qui devait faire de la place à un bidon de cinquante litres d’huile moteur et à une caisse à outils ? Pendant ce temps à Baden-Baden les chars de Massu étaient prêts à rouler.
Et puis tout s’est terminé. Les étudiants de la Sorbonne ou de Nanterre ont pu rendre visite aux filles dans leurs chambres. Daniel Kohn- Bendit est rentré en Allemagne. Les CRS ont rangé matraques et casques. Les pavés reprirent leur place. Et pour nous les aviateurs de la 61 ème escadre ? La routine, comme avant… Alors mai 68 ? Laissons les nostalgiques verser une larme mais songez quand même que nous fûmes, peut-être, à deux doigts de suivre le mouvement et d’entrer dans la danse… »
Je note dans "Le Point" du 26 avril 2018 dans un article (1) à propos de mai 68 une opinion de messieurs Chabrun et Korn-Brzoza, journalistes, qui affirment "que la seule chose qui tient dans cette France où s'installe une étrange vacance du pouvoir ...c'est la police". J'ajouterai ce fut aussi le cas de la Grande muette, l'armée quelle qu'elle soit.
(1) Mai 68 "ici radio police"
Po : Jean-Bernard Papi ©
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