"On rit du début à la fin, écrivait un lecteur, un livre à recommander pour chasser les idées noires et quitter pour un temps l'actualité." On ne peut faire meilleur compliment. Naufrage d'un autobus. Sur fond d'intrigue policière, les aventures héroï-comiques d'un groupe de Saintongeais en voyage organisé en Italie. Une savoureuse galerie de portraits, tout le pittoresque saintongeais avec le choc des cultures. (Impression Atlantique N°5 édition Poitou-Charente 2008).
Au pays des trésors d’art et de la mafia, la folle équipée de touristes saintongeais par Michelle Peyssonneaux :
Une vingtaine d’habitants d’une petite ville charentaise, située non loin de l’océan, se sont installés sans méfiance dans un vieil autocar à bout de souffle pour accomplir un périple en Italie en compagnie d’un guide chevronné. Les malheureux ignorent naturellement qu’ils n’en reviendront pas tous. Et ceux qui en reviendront n’oublieront pas de sitôt ce voyage au pays de la mafia.
La plupart des voyageurs sont des retraités, couples sans histoire et veuves respectables. Parmi les passagers, se trouvent malgré tout deux jeunes gens (Sylvie et Charles-Aymard) un peu attardés dans leur développement et une certaine Solange, genre vamp sur le retour, qui ne manque pas une occasion de se distinguer par ses toilettes. Le chauffeur, lui, se fait très vite remarquer par des arrêts fréquents, ponctués d’échanges mystérieux, sur des parkings d’autoroutes bondés de poids lourds. Un quidam que personne ne connait observe ses agissements. Ainsi, dès le début le lecteur attentif flaire l’intrigue policière à la San Antonio et prévoit que les choses vont se corser à un moment ou à un autre.
L’ouvrage porte pour sous-titre de Saubrejon à Capri en dix jours et nos touristes sont là principalement pour admirer les trésors de l’Italie. Aussi ont-ils droit à la visite commentée des monuments antiques de Rome ainsi qu’à celle de ses églises, chapelle Sixtine et autres. Et, bien sûr, la tour penchée de Pise. Les grands classiques, quoi ! La culture de base du groupe est d’ailleurs plutôt sommaire. À Pompéi, on confond Priam avec Priape, mais ce n’est pas grave. De toute manière, les dames préfèrent flâner dans les boutiques qui débordent d’objets-souvenirs en plastique plutôt qu’admirer les œuvres grandeur nature. Dans les ristorante, le groupe chipote sur la nourriture et les vins. Tout n’est-il pas plus beau et meilleur dans leur pays et surtout dans leur ville de Saubrejon ? De quoi écœurer le guide, un jeune homme naïf qui croit encore à l’art et à la beauté de son métier.
Le circuit se corse finalement assez vite car à Rome même, a lieu un premier enlèvement. Un vieux ménage, les Versansoif, se volatilise devant le Colisée. Mari et femme se tenaient pourtant par la main. Les autres repartent, effondrés. Ce qui n’empêchent pas le garçon et la fille de continuer à parfaire leur éducation en se livrant dans l’autobus au flirt très poussé qui les occupe intensément depuis le départ.
Les drames s’enchaînent. Capri voit le suicide suspect d’une vieille dame. À l’étape suivante, un passager manque se noyer dans la piscine de l’hôtel. Ce qui eût été dommage car cet ancien chauffeur de taxi se révélera précieux par son aptitude à conduire le car lorsque le chauffeur en titre finira par se faire sérieusement tabasser sur un parking par un confrère particulièrement costaud. Il sera pour quelques temps hors d’état de remplir sa mission. Ce sera l’occasion pour la belle Solange de jouer les infirmières dévouées et même un peu plus…
Avec Naufrage d’un autobus, Jean-Bernard Papi réédite un de ses meilleurs livres. (Sans doute le plus drôle avec Vie et Passion de Ferdinand Quatrefigues paru en 2015). La diffusion de ce livre, paru une première fois en 1999, ayant souffert de la disparition de l’éditeur Bordessoules, l’auteur a mis un point d’honneur à le réécrire avec des euros au lieu de francs et à l’actualiser dans certains domaines. L’histoire n’a rien perdu de son intérêt, au contraire. Ceux qui raffolent de l’écrivain saintais y retrouveront ses principales qualités : une action menée tambour battant servie par le style alerte dont il a le secret, une verve rabelaisienne toujours prompte à se manifester, un esprit d’à-propos aiguisé jaillissant en toute occasion. Et les occasions se bousculent à une vitesse vraiment affolante au cours de ce circuit à nul autre pareil.
Offert gracieusement voici une partie du chapitre 4 du Naufrage d'un autobus
Le guide qui avait espéré retrouver les Versansoif dans la basilique Saint-Pierre dont la visite était prévue sur le programme remis à chaque voyageur, passa la dernière heure de la matinée à les attendre près de la statue en bronze du saint patron de l'édifice. Il reçut une pleine poignée de pièces d'un groupe de Japonais qui voulaient, les uns après les autres, se faire photographier en sa compagnie car ils l'avaient pris pour un séminariste. Pendant ce temps, les Saintongeais, plus que jamais lancés à la recherche des disparus, effectuaient un ratissage méthodique de la nef et des chapelles latérales de l'immense basilique. Aucun n'eut le temps d'admirer autre chose que la coupole, et encore seulement en passant dessous.
- Ce qui n'est déjà pas si mal, dit le guide pour faire taire les râleurs, car elle est de Michel-Ange. Guettons-les au restaurant, soupira-t-il une fois traversée la place Saint-Pierre.
- Et pour la Piéta alors ? demanda madame Lefrond.
- Elle est de Michel-Ange aussi, répondit le guide, pourquoi ?
Le restaurant était situé près de Santa Maria in Trastevere. Ils s'y rendirent à pied car l'autobus était coincé dans un embouteillage du côté de la gare. On marche mieux en empruntant les ruelles, avait décrété le guide. Le fait est qu'on y rencontrait moins de monde et moins d'autos, mais autant de scooters qu'ailleurs. On y voyait aussi moins de boutiques, fit remarquer l'Observateur. Mais la faim tenaillait les estomacs et sa remarque passa pour une désobligeance.
Le guide, l'œil triste et le maintien cérémonieux, une fois ses clients à table proposa d'une voix tremblante que l'on ne prit qu'un minimum de temps pour se restaurer afin de repartir au plus tôt car à deux heures précises il avait rendez-vous dans les locaux de la police afin de déclarer officiellement la disparition des Versansoif. Il n'était pas question, se justifia-t-il, qu'il laisse ses passagers trop longtemps seuls et livrés à eux-mêmes. Il parvenait difficilement à cacher l'émotion qui l'étouffait depuis que le directeur de De Mollard en personne, qu'il avait dû mettre au courant à l'aide de son téléphone portable, l'avait engueulé d'une manière extrêmement grossière quelques minutes plus tôt. Le directeur sortait pourtant d'un repas pris avec des Japonais, futurs associés, ce qui aurait dû le rendre sinon compréhensif tout du moins clément. Mais c'était un sanguin, un colérique incapable de se maîtriser.
Il l'avait traité successivement « d'incapable, d'enfoiré de jeune, d'enculé mondain, de nique ta mère et de trou du cul présomptueux et incompétent ». C'est ce dernier terme qui avait vexé le malheureux guide et l'avait mis hors de lui. Il possédait une licence d'Italien complétée d'une licence d'histoire antique et ses compétences ne pouvaient être mises en doute. S'il l'avait voulu, il serait aujourd'hui fonctionnaire au ministère de la culture, au lieu de traîner ses fesses sur la moleskine des banquettes de la compagnie de transport De Mollard. Moleskine, dans le cas du mulet, plus trouée et tachée que les murs des W.C publics dans un quartier populaire de Bogota (par exemple). Après cette conversation à sens unique, il avait refermé son téléphone avec une telle fureur que les Italiens qui flânaient en téléphonant eux aussi dans le hall du restaurant en avaient été tout décontenancés.
Donc, au tout début de l'après-midi, pendant que les Saintongeais, qu'il avait parqués sur la place Navona, poireautaient en regardant les pigeons voleter et les bateleurs cracher le feu, il se rendit d'un pas ferme à la Questura, quelques rues plus loin. Le commissariat dans lequel il pénétra était plus bruyant et populeux que le stade du Milan AC le jour où l'équipe rencontre la Juve de Turin. Des agents en civil, reconnaissables à la paperasse dont ils avaient les bras encombrés, fendaient à coups d'épaules une foule qui s'impatientait et discutait à l'italienne, c'est à dire en utilisant la voix fortissimo, les jambes, les bras et les mains.
Deux carabiniers, en uniforme, enregistraient les plaintes et les dépositions. Le guide se plaça dans une file et attendit une heures trois quarts que son tour arrive. Entre temps le préposé aux plaintes s'était absenté cinq fois durant plusieurs dizaines de minutes. Autour du guide, c'étaient des conversations haletantes et désespérées, des gémissements dans six ou sept langues différentes, souvent pour des raisons gravissimes, lui faisait-on comprendre les larmes aux yeux. Il eut honte, devant tant de détresses, de n'avoir à déclarer que la perte de deux gros gaillards de Saintongeais, jusqu'à présent bien nourris et éclatant de santé.
Le carabinier enregistra sa déclaration sans faire de commentaires, se bornant à lui indiquer la sortie du menton avant de passer au client suivant. Il s'attendait à être réconforté, il en fut navré. Sur le chemin qui le ramenait vers ses chères brebis, il se précipita impulsivement dans la première église venue. Le hasard voulut que ce fut celle de la Compagnie de Jésus, l'église du Jésu, et à genoux il supplia Saint Ignace de Loyola de l'aider à retrouver ses Versansoif. Mais ce Saint Ignace, à l'esprit passablement tordu de son vivant, fit la sourde oreille et ne poussa pas les fugitifs vers son église. Le guide ayant progressivement retrouvé sa sérénité dans cet endroit frais et silencieux, prit une chaise afin de méditer pendant quelques minutes encore. Le kaléidoscope éclatant des onyx, cipolins, turquins et brocatelles, la douceur presque maternelle des porphyres roses, tous les marbres luisants et polis dont l'église était tapissée du sol au plafond avaient fini par le distraire de sa misère.
Les yeux perdus dans les papillons de brocatelle, les roses et les lys d'onyx, ses pensées allaient certes vers les Versansoif, dont il plaignait sincèrement la condition présente, mais aussi à son propre sort car il craignait de se faire mettre à la porte de chez De Mollard. Il aimait son métier, la masse molle des clients, les chemins cent fois parcourus mais toujours redécouverts, les pourboires et l'argent des mille « combinaziones » qu'en bon guide il avait su se créer. Tout cela lui manquerait mortellement s'il venait, par malchance, à se faire flanquer dehors. Dénicher une nouvelle place de guide lui paraissait désormais impossible car il était marqué à vie par la disparition, faute inouïe et impardonnable, de deux de ses clients. Soit grosso modo dix pour cent du troupeau, calcula-t-il en regardant la statue de Saint Ignace dans les yeux. Ou alors il fallait qu'il accepte désormais des accompagnements ineptes, en Bulgarie pour écouter les basses profondes et les chants d’église par exemple ; chez les schizophrènes de Kaboul ou ceux de Tchétchénie, ou encore mourir de faim dans un ex-kolkhoze russe de Sibérie, voire à être assassiné au coin d'un bois en Afrique du Sud pour deux dollars. En sortant de l'église, il tomba sur Sylvie et Charles-Eymard qui se reposaient assis sur l'escalier. Il s'assit à côté d'eux.
- Retrouvera-t-on mes grands-parents ? demanda Charles-Eymard qui trouvait maintenant que leur fugue avait assez durée.
Le guide qui cherchait du réconfort reçut la question comme un seau d'eau glacée. Il s'ébroua et de son ton le plus professionnel déclara que la police était désormais avertie et qu'avec l'aide du fondateur des Jésuites enterré sous leurs fesses, elle les retrouverait sans aucun doute. Charles-Eymard et Sylvie ne relevèrent pas le saugrenu de la réponse. Que les Jésuites soient mêlés à cette affaire ne les étonnait en rien puisqu’ils ignoraient, jusqu'à cette heure, leur existence et quels pouvoirs étaient le leur.
Devant eux le corso Vittorio Emanuele déversait ses flots d'autos comme un égout ses eaux vannes.
- On se croirait à Paris, soupira Sylvie, soudain songeuse.
- J'ai besoin de me changer les idées, dit le guide brusquement, allons jusqu'à la fontaine de Trevi ! C'est l'endroit idyllique pour les amoureux... Pour revenir à Rome, il faut boire de son eau et y jeter une pièce. L'eau est potable vous savez.
- Comment peut-elle être potable si on y jette des pièces ? demanda Charles-Eymard.
- Faut-il jeter la pièce avant d'avoir bu ou après ? questionna Sylvie.
La foule était compacte autour de la fontaine et on y parlait toutes les langues de la planète ou presque. Des jeunes gens assis sur la margelle semblaient rêver, alanguis et muets comme des Pierrot lunaires. Les cheveux dénoués des filles s'étalaient dans le vent et les garçons, les épaules dénudées, laissaient pendre deux doigts lymphatiques dans l'eau. L'endroit à vrai dire, par une sorte d'enchantement qui flottait dans l'air, donnait envie de se déshabiller et de se baigner. La mode y invitait aussi, depuis qu'un film célèbre avait transformé cette fontaine en pataugeoire pour nababs. Mais une police discrète veillait aux alentours.
Sylvie jeta sa pièce et but dans sa paume.
- Je ne sais pas si j'aimerais revenir à Rome, murmura Charles-Eymard.
C'est vrai, je suis cruel songea le guide de lui proposer de revenir. Ses grands-parents sont peut-être morts à l'heure qu'il est. Il sortit de sa poche une pièce de dix centimes et but une bonne gorgée d'eau.
- Moi aussi, je voudrais bien revenir à Rome, dit-il à Sylvie qui comptait les pièces au fond du bassin. Mais je ne sais pas si le bon génie qui veille sur la fontaine convaincra mon directeur.
- Il y a les Jésuites pour vous aider, répondit-elle doucement.
Sur la place Navona, les Saintongeais attendaient patiemment le retour du guide. Qu'il fût plus long que prévu ne les inquiétait pas outre mesure, chacun avait son opinion sur la police italienne et en parlait avec beaucoup de sous-entendus, dont le moins désobligeant était qu'elle n'arrivait pas à la cheville de la police française.
- Pensez, il faut voir les résultats qu'elle obtient face à la maffia ou à la camorra, trois fois rien, affirmait monsieur Puymoreau à la petite cour qui l'entourait, c'est à dire sa propre femme, monsieur et madame Rocambien, mesdames Hugue, Simoneau, Perche et Séguin. Ces dames, qui le trouvaient bel homme et qui aimaient ses manières viriles, buvaient ses paroles et ne le quittaient pas d'une semelle. Le guide était retenu parce que la police italienne était lente et corrompue, telle fut la conclusion du petit groupe, après que monsieur Puymoreau eut clos la discussion. On ne voyait qu'eux, d'ailleurs, plantés comme des épouvantails au milieu de la place, au même endroit depuis plus d'une heure. Ils paraissaient aussi peu intéressés par les vieilles maisons autour d'eux et par les deux hautes fontaines de la place que s'ils étaient en discussion dans l’une des rues anonymes et sans grâce de Saubrejon. Ceux qui acceptaient de dépenser quelques euros, comme Solange Mauduit ou les Lefrond s'étaient installés aux terrasses des petits cafés alentours, aux murs si joliment surchargés de géraniums. Ils y buvaient de l'eau minérale "frisante", de la bière ou des expressos.
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