Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                        Il n'y a de recette de jouvence que le rire.
                       Partageons nos plaisirs. Vous lisez ! J'écris !      

       rosalie

 

                   Jean Gabriel Chauvin, 

                              dessinateur et sculpteur (1889-1976)





 Portrait de Chauvin par Jean Bazaine
     

   Je cherchais Nicolas Chauvin, l’hypothétique et fantomatique père putatif du chauvinisme* j’ai découvert un Chauvin incontestable et pétri de réel puisque sculpteur. Je veux parler de Jean Gabriel Chauvin né le 30 mars 1889, déclaré en mairie de Rochefort–sur-mer ( Charente maritime)le lendemain, en même temps que son jumeau  André Joseph, par son père Antoine Léonard Chauvin, contrôleur du gaz, habitant avec sa femme Louise Thérèse Loyer, sans profession, au  n° 83 de la rue Gambetta.
   Les Chauvin sont rochefortais de longue date. Son aïeul, François Chauvin, est né le 7 septembre 1782, il se dit cultivateur à Rochefort. Il se marie avec Louise Françoise Boutiron le 2 mai 1809. De leur union naît le 19 aout 1814, Léonard Augustin Chauvin, le grand-père de notre sculpteur. Ce dernier s’engage à l’âge de 18 ans  le 29 avril 1833, dans l’infanterie, au 64ème de ligne**. Lors de son engagement il mesure 1,67 m, taille courante à l’époque, a les yeux bleus, la barbe naissante, le visage ovale, le nez gros et les cheveux châtains. Il part pour l’Algérie avec le 64ème, se marie avec Marie-Antoinette Thivin qui met au monde à Boufarik (Algérie) le 3 août 1848 un fils, - le père de notre sculpteur -, prénommé Léonard Antoine. Le soldat Léonard Augustin, à cette date, se dit propriétaire. Sans doute l'Etat français lui a-t-il donné un lopin de terre sur cette terre de peuplement, ou bien a-t-il pu s’acheter une propriété (en Algérie ou ailleurs) grâce à son pécule acquis après 26 ans de service actif au 64ème de ligne.
   Boufarik en 1848 est un marais pestilentiel peuplé de quelques centaines d’habitants. C’est la localité  réputée la plus malsaine d’Algérie, quand quelqu’un présente un visage livide de fièvre on dit qu’il a « la figure de Boufarik. » "À Boufarik ils labourent le fusil à l'épaule et la quinine dans la poche, écrit Albert Camus dans "Le Premier homme", 19% de morts en 1839. La quinine est vendue dans les cafés comme une consommation". C’est dire s’il fallait une bonne constitution à un enfant pour y survivre. Malheureusement ses géniteurs, Léonard Augustin et Marie-Antoinette, meurent à Kléber près d’Oran en 1851, le 13 aoùt pour le premier et le 17  pour le second, vraisemblablement du choléra, car une épidémie de choléra sévit à Oran depuis 1847. Après certainement bien des péripéties, on retrouve leur fils, Léonard Antoine, contrôleur du gaz plusieurs années plus tard à Rochefort-sur-mer. Il dispose de quelques biens lorsqu’il épouse, le 20 juillet 1880, Louise Thérèse Loyer, c’est à dire : une maison au 123 Grand Rue à Rochefort, le prix de la vente d’une autre maison, de l’argent en liquidité et des créances. De leur union naîtra Jean Gabriel notre sculpteur.
    La biographe Martine Willot qui s’est intéressée un temps à Jean Gabriel Chauvin fait état d’une mention de 5 qui lui fut attribuée lors de son recensement militaire en 1909. S’agit-il d’une restriction médicale : le personnage est sensiblement plus petit que la moyenne avec des bras exagérément courts ; il sera exempté plus tard en 1914 pour asthénie (manque de force) musculaire. « Je suis un faux nain » confie-t-il volontiers. Ou s’agit-il plutôt de son niveau d’instruction ? En 1905 les conscrits sont classés dans six niveaux  d’instruction : de l’analphabète au bachelier et plus. Dans ce cas le 5 indiquerait alors que Chauvin aurait obtenu le brevet de l’enseignement primaire ou tout du moins le niveau équivalent, ce qui lui aurait permis à cette époque d’être instituteur. En 1905 sur 3300 conscrits dans la Charente Inférieure 88 possèdent leur brevet et 73 leur baccalauréat. (Cf. Instruction des conscrits INRP Edition Electronique). Sa femme de ménage, 
madame Jeannette Rambaud, qui le servit durant les 15 dernières années de sa vie lorsqu’il séjournait à Port-des-Barques (Charente maritime) à l'embouchure de la Charente,  aujourd’hui (en 2009) âgée de 75 ans, affirme qu’il lisait beaucoup, qu’il avait la plume facile et qu’il aurait aimé être médecin.
   Le Bénézit l’appelle Chauvin Jean ou Chauvin Louis Jean, l’encyclopédie Universalis le prénomme Jean, seul le Petit dictionnaire des Artistes Moderne (Larousse 1999) ainsi que l’agence photo des musées nationaux lui donne ses deux prénoms : Jean Gabriel. Lui-même signe ses œuvres Chauvin, sans plus, et il ne relève même pas les erreurs de prénoms qui figurent sur les catalogues des expositions auxquelles il participe. « Cette ombre qui recouvre l’artiste, écrit le critique d’art Paul-Louis Rinuy en 1992, fait qu’une étude sur Chauvin, disparu il y a moins de deux décennies s’apparente à un travail d’archéologue». Les rares papiers et correspondances qu’il conservait ont été détruits après sa mort. Tel critique, à son sujet, parle d’orgueilleuse indifférence tel autre d’agoraphobie, un autre de personnage détestable. Jeannette Rambaud est d’un autre avis : « C’était un homme pudique et gentil qui n’aimait pas les mondanités. Avec l’âge et les vicissitudes, car il se faisait gruger par les "galiéristes" et les collectionneurs, il était devenu renfermé et bourru. Un vieux garçon célibataire. » Attitude qui ne l’a pas empêché d’héberger généreusement, à Port-des-Barques, une dame âgée, madame S. jetée à la rue par son fils. De sa vie sentimentale, tout ce que l’on peut dire c’est qu’il ne s’est jamais marié et qu’il séjournait seul à Port–des-Barques.
   De ses premières années à Rochefort-sur-mer on ne sait à peu près rien sauf à se souvenir qu’il avait un jumeau mort encore nourrisson, qu’il n’a pas connu mais dont il parle souvent. Peut-être y a t-il là un des secrets de son inspiration et de son caractère. À noter aussi qu'il est le seul survivant d'une nombreuse fratrie. En 1906, à 17 ans, il sculpte « Métamorphose », proche du style qui sera ensuite le sien. Il l’aurait taillée en secret puis cachée dans la cave familiale en raison d’une interdiction paternelle à s’occuper d’art. En 1908, à la mort de son père, il monte à Paris et le 14 mars s’inscrit à l’école des Arts Décoratifs puis le 7 janvier 1909 s’inscrit à l’école des Beaux-Arts dans l’atelier d’Antonin Mercié. En 1915, il se dit toujours élève de Lemercié (ou de Mercié ?) bien que son dossier scolaire soit vierge de tout renseignement. En 1913 on le retrouve dans l’atelier de Joseph Bernard, alors gravement maladedont il devient le praticien. Rien pourtant dans le style de Chauvin, très avant-gardiste, ne se rapproche de celui figuratif de Joseph Bernard.  « Il gardait l’atelier lorsque mon père s’absentait », écrit prosaïquement le fils de Joseph Bernard. Il participera à une sculpture sur marbre, prolongement d'une oeuvre de Joseph Bernard, d'après le tracé de ce dernier. Au chômage du fait de la Grande Guerre, Chauvin est obligé d’abandonner son atelier de la rue Vavin à Paris, il vit des secours du Ministère des Beaux-Arts et de l’aide de ses amis et admirateurs. Il utilise aussi ses talents de sculpteur ornemaniste pour fabriquer des moulures pour plafond.
  Exempté de service militaire pour "asthénie musculaire", Chauvin a peut-être servi comme infirmier volontaire au Val–de-Grâce, malgré cela, il ne recevra aucune commande, alors fort lucratives, de monuments aux morts à la fin de la guerre. Volonté délibérée des autorités ou mépris de sa part, on ne sait, mais je penche pour la seconde hypothèse. L’ « Essor » (photo ci-contre bronze /plâtre) daté de 1915 marque un tournant dans sa création, il ne s’agit plus de montrer dans un thème traditionnel mais de suggérer quelque chose à la fois concret et abstrait. Le mouvement ascendant est magnifié, la symétrie est faussée, le polissage est lent et impeccable afin de révéler la beauté du matériau. Bien que sa sculpture fasse penser à Brancusi par son aspect épuré, elle s’en distingue et s’en éloigne par sa forme dynamique et mouvementée. 
   En 1928 il expose bois et bronzes dans la galerie parisienne « Au sacre du printemps ». Voici ce qu’écrit le critique Robert Rey dans le catalogue de cette exposition : « Faits d’un bois poli, ces objets présentent des formes étagées, ramassées ou filantes, des gonflements qui, semble-t-il, vont sortir de la masse, s’arrondir, s’incurver en bourgeon, se dérouler en crosse de fougères, darder lentement, sortir les uns des autres comme les tubes d’un télescope… » En 1938 il participe à la décoration, réussie, du paquebot Normandie (1) en créant une vasque lumineuse en forme de corne d’abondance « double », montrant par là sa fascination pour le reflet et le dédoublement (Photo ci-dessous). En 1937 il avait reçu commande d’un motif décoratif pour l’exposition universelle à placer devant le pavillon des artistes décorateurs. L’œuvre en béton éclaté d’une simplicité très forte fait 11 mètres de haut. Il avait aussi reçu commande, pour cette même Exposition de motifs destinés à recevoir des projecteurs pour le pavillon de Sèvre.

   De 1930 à 1960 il taille beaucoup le bois et la pierre ; l’hiver dans son atelier de Malakoff (Hauts de Seine) il  prépare les maquettes et les ébauches qu’il finira l’été dans sa maison de Port-des-Barques, face à la Charente. « Tous mes bois y sont exécutés, écrit-il à Robert Rey …je ne sors pas de chez moi, je ne vais jamais à la pêche, on ne me voit jamais sur la minuscule plage de Port-des-Barques. » En 1945, il décrit : «La maison se compose de deux chambres. Je couche dans l’une et travaille dans l’autre et fais la cuisine dans la cave…depuis 35 ans cette petite maison n’a été utilisée que pour l’exécution de mes œuvres. On ne m’a jamais vu à la pêche, à la chasse ou sur la plage. »
L'ancienne Maison de JG Chauvin à Port des Barques (Charente Maritime)La photo fut prise dos à l'estuaire de la Charente.(voir ci-contre et ci-dessous)
   La maison sise au 11 avenue de l’Ile Madame existe toujours, en fait de cave c’est un entre-sol sous un rez-de-chaussée surélevé. Située de l’autre côté de la route qui longe l’embouchure de la Charente, elle possède une vue magnifique sur le fleuve. « Il allait au bout du jardin le soir contempler l’estuaire et on voyait son buste, sa barbe blanche, émerger au-dessus de la haie de fusain lorsque enfants nous nous promenions » nous confie l’actuelle propriétaire madame veuve Laugraud. La maison a subi bien des modifications mais elle a conservé sa façade et dans le jardin, le puits et sa pompe.
  « Nous y faisions la vaisselle une fois par semaine et je lui lavais son linge, ses longues blouses grises en toile rude qui le protégeaient pendant son travail, raconte Jeannette Rambaud, pour ce qui est du ménage il refusait de jeter la moindre bricole et vivait dans un capharnaüm envahi de livres. La vie de bohème. Je lui achetais sa nourriture et surtout le lait qu’il buvait à son repas du soir car il vivait de peu et n’était pas riche. Je lui taillais aussi les cheveux qu’il portait longs et je l’aidais quand il fallait déplacer ses sculptures. » ajoute-t-elle.
   À propos du travail de sculpteur de Chauvin, Jeannette Rambaud se souvient que les ébauches arrivaient de Paris avec de multiples trous borgnes. Ces trous lui servaient de repères pour le polissage effectué progressivement à l’aide de différents grades de papiers abrasifs. Le polissage durait jusqu’à ce que les trous aient disparu. « C’était comme du velours lorsque l’on passait la main dessus, dit elle. » Il regagnait Paris vers le 20 décembre. 
  Ses sculptures renvoient à son monde intérieur nourri de références érotiques et maritimes. En 1939 L'Etat lui achète Le tombeau d'Eve, sculpture qui marque une sorte de consécration officielle. Ses œuvres reçoivent après 1945 un accueil de plus en plus favorable et une rétrospective est organisée en 1949 à la galerie Maeght. Jacques Lassaigne, alors directeur du musée d’Art moderne, le présente comme « l’un des plus méconnu et des plus estimables sculpteurs français d’aujourd’hui. » Deux sculptures de Chauvin à l’exposition des Maîtres de l’Art abstrait, remportent un succès considérable et suscitent une violente polémique. Polémique, on s'en doute entre les tenants de l'art abstrait et les tenants de l'art figuratif. Paul-Louis Rinuy (Jean Chauvin en son siècle) le perçoit comme l'inventeure d'un langage nouveau, à la limite entre le figuratif et l'abstrait au même titre que Arp et Brancusi. "
Cette nouveauté dans la création figurative, écrit encore Paul-Louis Rinuy, ne doit pas faire oublier que le plus grand nombre de sculptures de Chauvin est clairement non figuratif et abstrait, même si Michel Seuphor, le père fondateur des études sur la question, n'accorde aucune place au sculpteur dans ses divers ouvrages consacrés  à l'invention, à la diffusion ou à la consécration de l'art abstrait". Chauvin n'était pas un intellectuel et encore moins un théoricien de son oeuvre.
 Il participe à la biennale de Venise en 1954, et, en 1962 il y représente la France en exposant cinquante œuvres. Toujours en 1962 il expose à la galerie de l’Elysée. Alex Maguy, collectionneur, lui achète toutes ses œuvres, une soixantaine « Une par an, confie Chauvin à un journaliste, certaines m’ont pris deux ans. »  En 1976,  une exposition à la galerie "du Cerceau" à Paris lui est consacrée. Son caractère indépendant et dédaigneux, il ne va même pas au vernissage de ses expositions, fait qu’il vit chichement dans une semi-misère. Pour le soutenir l’Etat lui achètera des œuvres importantes en 1946, 1948, 1949, 1962 et 1971. Dans une lettre datée d’octobre 1971, madame Olausson, une suédoise se fait intermédiaire pour vendre sa « Léda » (photo ci-contre) 25000 f, mais pour des raisons inconnues la vente n’aboutit pas.
   


à suivre,