Dossier établi par le Sous-lieutenant d’Artiguelongue (photo ci-jointe) du 62ème de ligne, peu après l’accrochage auquel il a participé.
Insigne du 62ème de ligne
Soldat d'infanterie française
Rapports du Capitaine Brian pour les Français et du Colonel Diaz-Miron pour les Mexicains. 1/ Rapport des Français Capitaine Brian :
El Encero le 3 janvier 1863
Mon colonel,
En exécution des ordres qui m’avaient été transmis par monsieur le commandant Cottat, je suis parti de Corofalso le 29 décembre1862 avec trois compagnie du régiment : 1er, 2ème, 4ème du 1er bataillon formant un effectif de : officiers 5, troupe 189, total 194. Je devais avec huit voitures mexicaines effectuer l’évacuation du poste de Puente National. Les instructions qui m’avaient été données m’avertissaient que les guérillas infestaient la route, et que, en conséquence, je devais prendre toutes les précautions militaires que comportait cette situation.
Je n’ai rien de particulier à signaler pour ma première étape de Corofalso à Plan d’el Rio. Le lendemain 30 décembre je partis à 6 heures du matin pour me rendre à Puente National ma destination ; la troupe était disposée de la manière suivante :
1/ 10 hommes de la 2ème en avant-garde de 80 à 100 pas ;
2/ Le restant de la 2ème compagnie ;
3/ La garde de police composée de trois escouades prises dans les trois compagnies ;
4/ La première section de la 4ème compagnie moins une escouade ;
5 / 4 voitures mexicaines ;
6 / 2 escouades de la 4ème compagnie ;
7/ 4 voitures mexicaines ;
8/ 2 escouades de la 4ème compagnie ;
9/ La 1er compagnie.
Environ une demi-heure après notre départ notre attention fut attirée par les traces récentes d’un gros campement : restants de nourriture, loques etc. Plus loin deux baïonnettes, des cartouches. De plus tous les villages venaient d’être brûlés, je ne marchais qu’entre des débris fumants. Ces indices indiquaient le passage d’une troupe nombreuse à peu de distances devant nous.
Je prévins mon extrême avant-garde de redoubler d’attention et de soins, surtout aux coudes et dépressions de la route qui partout est à peu près la même, un sillon au milieu d’une forêt, le plus souvent impénétrable. Le reste du détachement marchait en main, bien serré.
Après une demi-heure de marche environ, en un point que je sais s’appeler depuis l’Organo, situé entre la Rinconnada qui est à une lieue en avant et Palo Gaccho à une lieue en arrière, mon avant-garde reçut du côté gauche de la route une décharge foudroyante. Le fourrier Zaepfell, qui la commandait fut tué roide et un homme blessé mortellement. Alors éclata, en avant et un peu à gauche, une fusillade des plus nourries. Aussitôt je lançai la 2ème tête baissée et au pas de course, dans l’intérieur du bois. Cette charge vigoureusement enlevée par M le Sous-lieutenant Dartiguelongue, qui commandait la compagnie eut pour résultat de nous dégager momentanément.
Mais j’avais sur la route 8 voitures à garder et à amener à destination ; il était donc prudent de ne pas se laisser entamer par une diversion qui les eût livrées à une vraie attaque car dans ces terrains on ne voit rien, on ne sait où est l’ennemi ; aussi je fis rétrograder mais très doucement.
L’attaque alors se renouvela plus vigoureusement qu’avant, je fis sur le champ reprendre l’offensive à la 2ème et comme l’action était des plus vives, M le Capitaine de la Chaussée se porta à la fusillade laissant le convoi aux 4 escouades de sa compagnie qui s’y trouvaient attachées, et à M de Lauzun dont la compagnie gardait les derrières. Cette diversion dirigée en partant du convoi puis rabattue sur la tête, fut de la plus grande utilité. Il y eut un instant de répit.
Je voulus alors parvenir à mon but ; retourner à mon convoi et le faire marcher ; je simulais une charge pour en finir et essayais de me retirer : une troisième tentative éclata.
Dès lors il n’y avait pas à hésiter ; je n’entendais qu’une maigre fusillade sur mes derrières mais le devant de ma route était si infesté d’ennemis qu’il fallait le déblayer vigoureusement pour passer ; il n’y avait qu’une ressource celle de l’offensive prolongée afin de dégager à fond, j’ordonnais de la prendre avec le plus de vacarme possible.
On s’enfonça dans la broussaille perpendiculairement à la route, puis parallèlement, aussi lestement que les obstacles le permettaient ; tout ce que j’avais sous la main : 2ème compagnie et 1er section de la 4ème compagnie fournit la battue de la sorte aux cris mille fois répété de : Vive l’Empereur ! Accompagnés de l’effet des tambours et clairons. Cette charge poussée à près d’un kilomètre nous dégagea en avant ; on tourna alors à droite pour revenir sur la route en laissant quelques hommes à courte portée dans l’intérieur des fourrés. A cet endroit de la route le hasard nous avait conduits sur une gare des plus favorables.
J’y fis arrêter, et l’on embusqua les hommes derrière un rond-point qui était là, comme exprès pour recevoir les voitures.
Mais au même moment sur les derrières où se trouvait la 1ère compagnie et la 2ème section de la 4ème, l’attaque recommença. On y entendait une très vive fusillade, des cris ; on voyait les Mexicains se rouler aplatis pour traverser la route.
Je voulus faire pour la gauche ce qui venait de réussir à droite, un retour prolongé et, de plus, laisser des embuscades pour attendre que le convoi eut gagné quelque distance.
Je laissais au capitaine de la Chaussée le soin d’organiser les choses en avant et, comme naturellement on était fort mêlés, je pris 40 hommes, les premiers sous la main. Je les mis sous le commandement de M le sous-lieutenant Stéphanopoli avec l’ordre de revenir en arrière au pas de course le long de la route , en rasant les bois, puis de se jeter dans l’intérieur, mais obliquement au-dessus de l’attaque, comme pour tourner et l’enlever aux cris plusieurs fois répété de : Vive l’Empereur ! car ce cri anime tous les hommes ; il devait rendre courage à ceux que l’on dégageait au cas où leur position eut été délicate, enfin, il devait faire lâcher pied à l’ennemi.
Cette charge sur la gauche fut poussée à fond ; j’en dessinais une deuxième pour occuper mon monde, le tenir en animation et surtout donner aux voitures le temps de partir, ce qu’elles firent, moins la dernière où une mule blessée causait les plus grands embarras.
En attendant la mise en état de cette voiture et son départ, je fis des retours bien accusés, mais immédiatement arrêtés, pendant que le clairon continuait à sonner ; en même temps on ramassait les blessés, les morts, on les chargeait, moins un seul que je n’ai pas eu le bonheur de faire retrouver dans ces terrains si couverts où l’homme échappe. Au retour j’ai rencontré ce malheureux sur la route ; il n’était pas mutilé on l’enterra sur le champ.
Tel est l’ensemble de l’affaire, mon colonel ; elle a été bien rude, bien acharnée de la part de l’ennemi qui semblait regarder le convoi comme une prise assurée, comme une proie que la fortune lui jetait au passage.
Je ne puis vous préciser le chiffre des attaquants, mais les rapports les plus modérés les portent de 600 à 800 hommes, qu’on m’a dit être des réguliers commandés par Diaz-Miron. La tenue en blanc était uniforme et les fusils avec baïonnettes uniformes aussi. Pour moi je n’hésite pas à accepter au moins ce chiffre en raison de la ténacité, de la durée de l’affaire et des groupes qui, coup sur coup, venaient à la fusillade. Nous n’avons jamais fait que prendre l’offensive et cependant il nous a été impossible de dégager la droite et la gauche avant une grande heure de combat.
Un peloton de cavalerie, fort de 50 à 60 hommes se tenait à cheval sur la route, vers Puente Nacional hors de portée, attendant le résultat de l’affaire. Pour la mener à bonne fin, il nous a fallu enlever deux lignes successives d’embuscades en pierres sèches, espèces de taupinières à ras de terre, recouvertes de broussailles, et d’où les mexicains tiraient à coup sûr, certains d’avoir une issue en arrière de ces abris ; l’endroit avait été solidement disposé ; à notre retour je l’ai encore fait remarquer à tous les contingents du détachement.
La rencontre a donc été des plus sérieuses ; mais j’avais avec moi d’excellents officiers dont l’honneur et la bravoure ont éclaté aux yeux de nos petits fantassins qui en étaient à, leur premier coup de feu.
Comme toujours, le cœur de nos hommes a répondu vivement aux élans généreux qui leur étaient inspirés. Capitaines et sous-lieutenants ont enlevé leur monde carrément et si, après le combat, les hommes ont crié « Vive les officiers », les officiers à leur tour pouvaient féliciter chaleureusement leurs soldats. Je ne citerai donc personne parmi les officiers. Il y a de nobles services à récompenser, je le sais, mais je sais aussi, Mon Colonel, que je ne puis faire mieux qu’abandonner ces messieurs à toute votre bienveillance ; c’est la meilleure garantie que je puisse leur donner.
à suivre,