Essai suivis d'exemples sur la crédulité humaine et la mauvaise foi.
Le 16 novembre 1993, à la veille de France-Bulgarie, le match de football qui allait décider de la participation française à la coupe du monde, une voyante, sur une chaîne de télévision, prédit une victoire française fracassante par 3 buts à 1. Le lendemain, on découvrait la défaite de la France 2 buts à 1. On aurait pu penser qu'une pareille erreur de prévision chez cette extralucide allait déchaîner le rire du pays tout entier. Pas du tout. Pas un mot, pas un écrit, pas une explication ne sera donnée ni par elle-même, ni par l'entreprise qui a utilisé, et payé, ses "talents". Habitués aux approximations des pythonisses, astrologues et tireurs de cartes de tous poils qui les grugent dans leur cabinet de consultation, ou par le biais de leurs revues spécialisées, les français, probablement abasourdis par la terrifiante défaite de leur équipe, ne rouspétèrent pas non plus. En ne réprouvant pas, les médias qui profitent de la manne de la "voyance" par horoscopes et publicités interposés, se firent ipso-facto complices du charlatan. Et quelle manne ! 10 millions de clients, la moitié de la population active française. En 1993 plusieurs centaines de millions de francs de chiffre d'affaire par an furent partagés entre 50.000 praticiens et 476 serveurs Minitel(1) es-arts divinatoires. Serveurs désormais remplacés sur l'Internet avec autant de succès. Tels sont les données qui figurent dans une enquête effectuée par l'Express du 27 mai 1993. Sans fournir d'interprétation ni prendre parti, l'hebdomadaire rapporte qu'aujourd'hui 46% des français croient à l'explication des caractères par les signes astrologiques alors qu'ils n'étaient que 40% en 1988. La voyance a-t-elle progressé à ce point en cinq ans qu'elle puisse entraîner l'adhésion additionnelle de 6% de nos compatriotes ? Des progrès ? Certainement pas ! Si l'on admet que la soif de connaître par avance son avenir, son destin, est aussi vieille que l'homme, on s'accorde en général à faire naître l'astrologie au temps des Sumériens et des Babyloniens, il y a cinq mille ans environ. Ces derniers laisseront à la postérité un nombre important de tablettes d'argiles où sont consignées leurs observations. Ainsi : "Si pour voir la culmination le 20 du mois de Nissan (mars/avril) au matin, tu te tiens de manière à avoir l'ouest à ta droite, l'est à ta gauche et les yeux levés vers le sud, si le Koumarou (le Cygne) de la Panthère (le Cygne plus Pégase plus Andromède) au centre du ciel devant ta poitrine culmine, alors Gambon (le Cocher) se lèvera". Tout naturellement, l'astrologie se confond, dans ses débuts, avec l'astronomie. Sumériens et Babyloniens cherchent, avant tout, à donner des explications à l'échelle humaine des phénomènes célestes qu'ils observent. N'oublions pas non plus le côté prosaïque de la nécessaire connaissance du temps des semailles et des récoltes. Plus tard l'astronomie, en se développant séparément, va proposer une explication rationnelle, et indépendante de l'homme à l'univers qui nous entoure. Aristarque de Samos, 300 av J.C, expose une théorie, admise alors, où la terre et les planètes tournent autour du soleil et Hipparque (150 av J.C) découvre la précession des équinoxes et dresse le catalogue de 1026 étoiles et de 36 constellations. Ce catalogue, repris dans l'Almageste de Ptolémée donne les désignations, les longitudes, les latitudes et la grandeur des étoiles. Ptolémée, véritable savant au sens moderne du terme, va cependant s'égarer dans une explication compliquée du mouvement des planètes qui aura cours jusqu'au moyen âge. Pendant ce temps, l'astrologie se maintient dans un système où l'homme et sa destinée demeurent liés au mouvement des corps célestes. Mouvements incompréhensibles pour l'homme ordinaire ou répondant à une volonté supérieure. Combattue par l'église chrétienne qui n'admet l'homme soumis qu'à la volonté de Dieu seul, et non aux corps célestes, elle est cependant mieux acceptée que l'astronomie laquelle ne donne de la création de Dieu qu'une représentation de corps inertes répondant à des lois purement mathématiques. Il faudra 1.800 ans pour revenir aux idées d'Aristarque de Samos et, pendant que Copernic (1473/1543) et Galilée (1564/1642) défenseurs de cette théorie, seront sérieusement inquiétés, l'astrologue Nostradamus publiera ses ténébreuses Centuries en 1555 lesquelles obtiennent immédiatement un succès immense. Son fils Michel, astrologue lui aussi, ayant prédit l'incendie de Pouzin assiégé par les troupes royales (1674), imagina d'y mettre lui-même le feu. Surpris, il fut mis à mort par l'assaillant indigné, apportant ainsi la preuve de sa fourberie et de l'ineptie de ses prophéties. Il n'empêche que le titre "d'astrologue et conseiller du Roi" fut porté en France, jusque sous Louis XIV. L'astrologie, qui se veut pourtant être une science, ne peut s'attribuer aucune des grandes découvertes qui s'appliquent au système solaire. Si les réflexions des astronomes sur les anomalies de trajectoires orbitales, aboutirent à la loi de Bode qui permit de prévoir dès 1778, l'existence de planètes inconnues au-delà de Jupiter, un grand nombre d'irrégularités et d'incohérences de prédictions auraient dû également alerter les astrologues. Il faut croire que ces derniers n'étaient pas curieux puisque aucun d'eux ne fut à l'origine des découvertes d’Uranus (Herschel en 1781), de Cérès (Piazzi en 1801), de Neptune (Le Verrier en 1846) et de la pseudo planète Pluton (Tombaugh en 1930). Ces planètes, sauf Cérès et les petites Pallas, Vesta et Junon on se demande bien pourquoi, entrèrent au fur et à mesure dans le calcul des horoscopes et y sont même depuis indispensables. "On a trop tendance à juger du caractère et du destin (de l'homme) uniquement d'après le signe qu'occupe le soleil ce qui est nettement insuffisant, écrit une astrologue connue. La lune, Mercure, Vénus, Mars, Jupiter, Saturne, Uranus, Neptune et Pluton traversent aussi ces signes, leurs influences enrichissent considérablement les interprétations". Pour peu qu'il se découvre encore une planète à notre système solaire, elle sera adoptée par nos mages, sans conflits de conscience ni états d'âme superflus. Poussant le bouchon à l’extrême, une astrologue Russe, Marina Baï, va intenter un procès à la NASA, laquelle en percutant volontairement la comète Tempel 1 aurait perturbé son horoscope et sa pratique de l’astrologie. Elle réclame 261 million d’euros de dommage et intérêt, soit le coût de la mission. (Cité par Courrier International juillet 2005). Encore ne parle-t-on ici que d'astrologie "européenne", mais il en existe une chinoise, une inca et même une celte. Autant dire que chez ces dernières la cosmogonie est particulièrement ésotérique. On pourrait ici m'objecter que Kepler, auteur des trois lois fondamentales du système solaire, fut astrologue (astrologue de Wallenstein duc de Mecklembourg). Certes, il le fut officiellement à 58 ans et pour gagner sa vie après d'innombrables vicissitudes. Il perdra ce poste et mourra l'année suivante en 1630. Mais il n'est pas que l'astrologie et beaucoup de techniques (ou arts divinatoires) permettent de dévoiler l'avenir. "Dans les tribus primitives, le sorcier mêle des osselets, des morceaux de bois et des flèches, les lance au sol et dévoile ainsi l'avenir grâce au message révélé par l'esprit surnaturel qui a guidé sa main". (in Spéculation et jeux de hasard- G. Brenner et R. Brenner- PUF). L'idée que la volonté divine pouvait se manifester dans les jeux de hasard se trouve exprimé dans la bible et les Proverbes (16,33) : "On agite les dés dans le gobelet, mais quelle que soit leur décision, elle vient du Seigneur." Le tirage au sort et la loterie deviennent ainsi, chez les Juifs comme chez d'autres, une manière de lire l'avenir pour peu que l'on accepte l'idée qu'il soit entre les mains de Dieu (2). Les Egyptiens, les Grecs et les Romains, en particulier aruspices et augures, découvriront l'avenir dans le vol des oiseaux et les viscères d'animaux sacrifiés. Pour donner une idée de l'estime dans lequel ils tenaient ces sortes d'activités, Caton et Cicéron affirmaient "que deux augures ne peuvent se regarder sans rire". Ce qui n’a pas empêché la Pythie, oracle de Delphes, de durer mille ans pour le plus grand profit des prêtres d’Apollon qui la chapeautaient. Aujourd'hui, l'utilisation des cartes à jouer, des Tarots, du marc de café, de taches, appartiennent au même état d'esprit et sont dans le droit fil des conceptions et des procédés antiques, l'entremise des dieux exceptée. Mais ceux-ci n'ont cependant pas quittés le devant de la scène. Dieu, ou les dieux, se manifestent chez les voyants et voyantes qui ont des "flashes", des visions d'avenir, du passé proche ou lointain. Le mécanisme est irrécusable et fonctionne à merveille. Le voyant se garde bien de prédire quelque chose d'immédiatement et de scientifiquement vérifiable. Dieu, ou Astaroth, Belzébuth quand ce n'est pas Amon-Râ, Shiva ou Baal, les inspire et dicte l'avenir de madame Michu et de monsieur Bonhomme. Seule une mise à l'épreuve impromptue peut les faire chanceler. Ce fut le cas de Yagel Didier, auteur d'un ouvrage où elle "révèle" un certain nombre d'anecdotes historiques, qui dans l'émission de France Inter "Rien à cirer" du dimanche 26 décembre 1993, prétendit qu'elle ne pouvait recevoir ses flashes "Que si l'on est gentil avec elle". Pourtant, il ne s'agissait que de deviner ce qu'il y avait dans une enveloppe cachetée, ce qui, vu la simplicité de l'opération, ne pouvait être difficile à une personne qui prétend recevoir des flashes sur Akhnaton et autre Masque de fer. Ce procédé de divination (enveloppe cachetée) a fait l'objet d'une étude scientifique menée par les ministères de la marine des Etats-Unis et de l'Union Soviétique. Il s'agissait de remplacer les messages radio échangés entre les sous-marins, facilement localisables et perméables aux intrusions, par des actes de transmissions de pensées entre "Voyants" ou "médiums" embarqués ou à terre. Même en se limitant à des divinations simples de figures géométriques, les résultats ne dépassèrent pas ce qu'il était admis de deviner par le simple jeu du hasard. Car la mise à l'épreuve sous surveillance scientifique est une expérience redoutable dont peu de devins se remettent. Qui se souvient d’Uri Geller, médium et voyant, qui prétendait plier les manches de petites cuillères et remettre en route les montres à distance, par la force seule de son "mental" ? Son passage à la télévision et l'expérience qu'il tenta alors, sonnèrent le glas de ses pouvoirs. Nombre de téléspectateurs firent comme moi. Ils posèrent quelques petites cuillères et une ou deux montres en panne devant leur téléviseur et suivirent les efforts d'Uri Geller. Rien ne se passa, évidemment, le fluide ne suivit pas les faisceaux hertziens. Uri Geller prétendit ne pas être en forme, recommença peu après mais sans plus de résultat. Comme à chaque fin d’année, l'année prochaine va faire l'objet d'une floraison de prédictions en tous genres, principalement dans le domaine politique, c'est le moment de les noter afin d'en vérifier la réalisation l'année suivante. Tablons et parions pour une réussite de 5 %. C’est à dire parions sur le hasard. Car il faut rapporter le nombre de "réussites", ou prédictions réalisées, au nombre total des erreurs, c'est à dire des prédictions erronnées. En général, les démonstrations de voyance en public sont bizarrement floues, peu précises, et découlent plus d'une analyse géopolitique des évènements du monde que d'une véritable vision d'avenir. Ainsi François-Charles Rambert, sur FR 3, le Ier janvier 1994 à 22h 30, prédit, en promenant un pendule sur des cartes géographiques la paix entre Israël et les Palestiniens. N'importe qui d'attentif aux faits d'actualité aurait pu en faire autant... avec une chance sur deux de se tromper. À la date d’aujourd’hui, en 2019, on sait ce qu’il en est. Ainsi fut prophétisé pour 1993 un deuxième Tchernobyl, parce qu'une commission scientifique internationale avait émis des doutes sur la qualité des réacteurs nucléaires soviétiques. Peut-être pour leur vendre du matériel neuf ? Qui peut le dire, sauf une ou un voyant, naturellement. Fut pronostiqué également un séisme à San Francisco accompagné de milliers de morts. On eut un incendie à Los Angeles avec quelques morts. Ces prédictions sont à peu près aussi fiables que celles des "experts économiques" qui annoncent une reprise tous les six mois, encore que ces derniers s'entourent de précautions oratoires prudentes que les voyants extralucides négligent. Elizabeth Teissier (in L'Express du 27/5/1993) : "J'avais prévu Tchernobyl, la chute du mur de Berlin et un grand nombre d'accidents d'avions et de trains". Où, quand, devant qui d’assermenté ? L'express ne vérifie pas et ne donne pas non plus les références des journaux qui ont publié les oracles de cette très médiatique voyante. Les plus honnêtes se retranchent derrière une vague teinture de psychologie et disent n'apporter seulement qu'une meilleure connaissance de soi, ce qui permettrait de jouer au mieux avec ses qualités et ses défauts. Ceux-là sont les plus dangereux, ces chattemites hypocrites qui prétendent donner ce que rien dans leur "science" ne permet d'obtenir : la connaissance de soi. Que l'on consulte un psychologue, que l'on s'étudie à travers les hauts et les bas de l'existence et l'on obtiendra un meilleur résultat. Un succès financier, par contre indubitable, est obtenu par nos charlatans dont la consultation en cabinet frise, pour les ténors, les 155 euros. Sans oublier leur littérature qu'ils déversent dans les librairies ésotériques dont le nombre ne cesse d'augmenter. En 2005 "Votre horoscope" édition télé 7 jours par exemple, tirait à 120.000 exemplaires et "L'astrologie Chinoise" de S. White à 350.000. Le mercantilisme de la voyance se manifeste à plusieurs niveaux. Chez les praticiens, comme l'on vient de le voir, qui arguent de calculs longs et fastidieux (astrologues) ou d'une science particulière (numérologues, cartomanciens, chiromanciens), voir de dons spéciaux (voyants, médiums) pour pratiquer des tarifs dépassant, et de loin, la consultation médicale d’un professeur spécialiste. De nombreux journaux, magazines et radios attirent le chaland par le biais de la voyance. Le magazine "Elle" à côté de l'horoscope traditionnel publie, ou a publié dans les années 90, une page consacrée à la numérologie. Didier Derlich a donné, durant les années 90, sur RTL des consultations à distance, à l'instar de celui qui, il y a quelques années affirma aux parents d'un enfant kidnappé que celui-ci était toujours vivant alors que la gendarmerie venait de découvrir son cadavre. Parmi les nombreux quotidiens publiant des horoscopes, étudions au hasard le cas de Sud-Ouest qui se reconnaît 1.476.000 lecteurs. Le 30 décembre 1993, l'horoscope des natifs du Taureau était ainsi rédigé. « Vie sociale : de la créativité à revendre et un sens de l'organisation que vos concurrents les plus virulents devront sans doute reconnaître ; coeur : Une ombre sur votre vie sentimentale ? N'en faites pas une maladie, ce n'est pas grave ; santé : Ils ont exagéré ? Ne les imitez pas. » Quand on songe que pareille prophétie s'adresse à l'enfant de Tombouctou comme au vieillard sur son lit de mort à Oslo, qu'elle concerne le Papou dans sa brousse, la ménagère dans son HLM de Châteaudun, le dirigeant chinois à Pékin, la fille de joie thaïlandaise de la rue Nam-Tien et le martien, s'il existe, il y a là de quoi rêver ! Cette prose est rédigée par un certain Argos. Sur les serveurs minitel dédiés ce sont des étudiants, complètement néophytes qui répondaient. Vogue la galère... Site de voyance et fautes d'orthographe comprises.