Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète
Il n'y a de recette de jouvence que le rire.
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Son absence de succès commercial est en partie due à son incapacité à « faire du Chauvin », c'est à dire à répéter toute sa vie la même formule. « Chauvin est un créateur solitaire et inclassable » commente Paul-Louis Rinuy, inclassable en raison de la multiplicité de ses formes, de l’originalité de ses dessins et aquarelles, car ses recherches ne se confinent pas à une seule direction mais au contraire éclatent dans toutes les directions ce qui contribue à faire perdre pied à ses admirateurs. D'un autre côté sa vie est consacrée à son œuvre et rien ne peut l'en détourner, ni l'effort de publicité indispensable ni celui nécessaire pour expliquer et commenter son travail. Pour donner un exemple de son côté bourru ? À un journaliste de Paris-Presse qui l’interroge à propos de sa participation à la biennale de Venise en 1962 -il a 73 ans-, où une salle entière lui est consacrée : Q : Êtes-vous content ? R : Je m’en fous. Q : Pensez-vous gagner ? R : Je m’en fous. Je suis trop vieux. D’ailleurs ils ont choisi Giacometti. C’est réglé d’avance. Q : Et si c’était vous ? R : Je ne les remercierais pas. Q : Pourquoi ? R : Parce que c’est trop tard Q : Alors pourquoi la biennale ? ……………………………………. Q : Je peux vous photographier ? R : Je ne suis pas Picasso. Q : Que lui reprochez- vous ? R : Allez-vous-en ! C’est bien Giacometti qui remportera le premier prix de sculpture cette année-là à la biennale et, effectivement, l’œuvre de pionnier de Chauvin est reconnue trop tardivement, comme le sont celles de tous les grands précurseurs. D’autant qu’en Italie en 1962, l’art abstrait, fait l’objet de multiples cabales. Les critiques d’art du parti religieux affirment que l’abstrait ne peut être de l’art « car il ne représentera jamais le sacré » tandis que ceux affiliés au parti communiste défendent bec et ongle le néo-réalisme cher aux artistes soviétiques. Le grand public et nombre de critiques, dont Michel Seuphor, le méconnaissent, alors que, à cette époque, Brancusi, Giacometti et Calder, sculpteurs qui lui sont contemporains sont connus de tous. Comme on l’a souligné, la vie de Jean Gabriel Chauvin est relativement obscure en raison d’une misanthropie qui le pousse à la solitude et surtout en raison de son art, une passion qui empli totalement sa vie et finalement l’isole. Art Price, le marchand d’art en ligne, (artprice.com) évalue un fusain aquarellé de 19×31 cm intitulé l’ENVOL à 2462 dollars US en 2009 et ajoute ce commentaire : « Paradoxalement peu connu en raison d’une œuvre trop rare, Chauvin est un des très grands sculpteurs du XXème siècle, un précurseur comme Brancusi et Micklos» Les nombreuses ventes de ses œuvres montrent un intérêt certain de la part des collectionneurs. Naja un petit bronze a été vendu à Paris en 1990 pour 220.000 F. (Bénézit) Quelques-unes de ses sculptures figurent dans l’exposition permanente de la Fondation de Coubertin, à Saint Rémy les Chevreuse fondée par Jean Bernard fils du sculpteur Joseph Bernard, lequel voulait créer un jardin de sculptures voué à l'Ecole française de sculpture. « Cette collection est constituée à partir de bronzes, allant de Bernard à Chauvin et Hadju, grâce aux ayants-droit de ces artistes. » (Texte relevé sur le site de la Fondation.) Début 1976, opéré d’une hernie à l’hôpital américain de Neuilly, Chauvin part en convalescence dans la maison de repos du château de Chaillé à Saint Martin-les-Melle près de Niort. Il y mourra le 15 mai à l’âge de 87 ans. L’article nécrologique de la République du Centre signale qu’il sera enterré le 18 mai à Port-des-Barques (17). Inutile de chercher sa tombe. Sur les conseils de Jeannette Rambaud il a légué son corps à la science et la faculté de médecine de Bordeaux viendra l'enlever. N’ayant pas d’héritier, il a donné sa maison de Port-des-Barques à Colette Brown, violoniste, fille de son meilleur ami à Paris, qui la revendra rapidement. Il lègue son fond d’atelier, 160 sculptures ou projets de sculptures au Musée d’Art Moderne et tous ses meubles, livres et outils à madame Rambaud. D’après monsieur Lassaigne, 1976 devait être l’année Jean Gabriel Chauvin. Qui était donc l’artiste Chauvin ? « Au mystère de l’homme écrit Paul-Louis Rinuy, répond l’énigme d’une œuvre abstraite, dont la facture et la thématique invitent à l’interprétation libre et poétique. Telle est la raison essentielle du mythe Chauvin, qui s’est élaboré progressivement dans les écrits des amis et des critiques. Il s’est substitué à l’homme et à l’œuvre de manière à les valoriser et à leur donner sens et place dans l’art de notre siècle. » L'œuvre de Chauvin écrit Nicole Barbier (Encyclopédie Universelle 2018) se caractérise par son extrême sensualité, exprimée par des formes pleines et harmonieuses, souvent phalliques (Le Vent se lève, 1940 ; Pierre qui lève, 1954 ; Jet d'eau, 1958), dont l'épiderme lisse est obtenu par un patient polissage du bois précieux, de la pierre ou du bronze. Les titres sont poétiques : Le rêve appelle et passe, En un soir chaud d'automne. Matin calme et ardent, Incantation maternelle... Les dessins de Chauvin (voir ci-contre) aident à mieux comprendre ses sculptures les plus fantaisistes. Essentiellement des fusains et des sanguines, ils témoignent d'une économie de moyens et d'une grande rapidité de conception.
(1) À propos du paquebot "Normandie" : lancé en 1932 par les chantiers de Saint-Nazaire (44) c'est le plus rapide des paquebots en service et c'est aussi un joyau de l'Art déco déclaré comme le plus somptueux des navires, chacune des 400 cabines de 1ère classe avait sa propre décoration, les colonnes de verre de Lalique illuminaient le restaurant de ces premières classes... Le 9 février 1942 alors qu'il est à quai à New York saisi par les autorités, un incendie que les pompiers du port sont incapable d'éteindre se déclare à bord. Un ouvrier soudeur aurait mis le feu à un stock de gilets de sauvetage. Après avoir récupéré les aménagements intérieurs le navire sera vendu comme épave.
Remarques : *Voir à ce sujet mon article : "Nicolas Chauvin et le chauvinisme" sur ce site.
** Coïncidence amusante : Un Chauvin est le personnage central de plusieurs vaudevilles dont "La Cocarde Tricolore" de Th et H. Cogniard en 1831, qui lui font dire cette réplique immortelle : « J'suis Français, j'suis Chauvin et j'tape sur l'bédouin. » L'histoire se passe en Algérie. *** A la suite de cet article Monsieur Paul Mas nous a écrit" Le hasard vous a fait rencontrer Jean Gabriel Chauvin. Dans sa course ce même hasard, m'a fait découvrir votre bel article. On a dit des sculpture de Chauvin qu'elles étaient des poèmes de sculptures, je ne suis donc pas étonné qu'elles vous parlent." le 17/05/2010 J'ai bien connu ce sculpteur en 1970, nous écrit Jean-Louis Roche en 2012. Je l'avais même interviewé pour le mensuel Actuel... Le ton en fut bourru, celui d'un viel anar de droite, pas très aimable... J'en ai gardé des bribes. Mes remerciements vont à Jeannette Rambaud pétulante et vive dont la mémoire intacte me fut d’un grand secours, à madame Laugraud, à Port-des-Barques, à son pharmacien et à son maire. La plupart des biographes consultés (Encyclopédie, Wikipédia) soulignent l'obscurité et le silence qui entourent la vie de Chauvin. Une vie entièrement et absolument consacrée à son œuvre. J'espère modestement en avoir dévoilé une partie, celle qu'il passait à Port des Barques, la plus fructueuse. Puisse ce modeste article permettre à Chauvin de sortir un peu dans la lumière et gagner la place qu'il mérite parmi les meilleurs sculpteurs de XXème siècle. Je forme aussi le voeux pour qu'un jour les municipalités de Rochefort/mer et de Port des Barques honorent par une rue ou une place au nom de cet artiste hors du commun.
Bibliographie : De nombreux textes lui ont été consacrés, citons parmi les plus importants :
- Les « Cahiers d’art » 1960 de Christian Zervos.
- Chauvin, sculpteur par Paul Mas. Catalogue raisonné de l'oeuvre sculptée. Edition Gourcuff bilingue. 454 pages. 2007. Introduction de Paul Mas - Préface de Paul-Louis Rinuy. Une oeuvre magistrale et complète. 160€. On notera page 451 les expositions, nombreuses, consacrées à Jean Gabriel Chauvin et la bibliographie page 449.
- Une thèse de doctorat de Stéphanie Jamet-Chavigny : « Jean Gabriel Chauvin pionnier de la sculpture abstraite française. » 1998 - Catalogue Chauvin, à l’enseigne du Cerceau 1976 - Jean Chauvin par Paul-Louis Rinuy, Fondation de Coubertin 1992, le texte le plus complet sur le sujet, dont je me suis beaucoup inspiré. - Jean Chauvin par Nicole Barbier, Encyclopédie Universelle 2018. Nota : Les photos des œuvres de Jean Gabriel Chauvin sont soumises à réglementation et ne peuvent être reproduite sans autorisation, en outre la photographie en ses deux seules dimensions ne peut donner qu’une vue imparfaite de l’œuvre. J’encourage ceux qui sont intéressés à aller sur le site de l’agence photo des musées nationaux (www.rmn.fr ).
Quelques sculptures de Jean Gabriel ChauvinPhotos extraites du livre de Paul Mas.
Athanor 1939- Plâtre (collection privée. Signé) Foc. 1955 Bois