Avec son tra-la-la
Avec son tra-la-la, son petit tra-la-la ! On n’entendait que ça dès que l’on ouvrait le poste de radio. La voix pointue de la chanteuse vous perforait les tympans et se faisait se trémousser Ferdinand, mon parâtre, qui avait un faible pour cette grisette de Suzy Delair depuis qu’il était allé la voir jouer au théâtre. La romance me plongeait dans un gouffre de perplexité. Qu’était-ce donc que ce fichu tra-la-la ? Pour ma cousine qui avait comme moi l’âge de faire sa première communion, ce tra-la-la était une sorte d’éventail que Suzy Delair agitait quand elle avait des bouffées de chaleur. Peu crédible ; qui autour de moi avait des bouffées de chaleur ? Avais-je des bouffées de chaleur ? Et elle ? Ce tra-la-la occupait presque chaque soir la zone singulière qui survient juste avant le sommeil, il chassait même les appréhensions du lendemain, en particulier celles ayant trait à mes leçons que j’avais, comme souvent, remplacées par un jeu de bille avec les copains. Demander à Ferdinand ? La chose devait le dépasser, lui qui ne consacrait son temps qu’à ses timbres ou à la pêche à l’ablette. Et puis quelle honte pour moi d’avouer une ignorance si pitoyable. Il ne me restait que l’ultime secours, la planche de salut, ma chère mère. Mais savait-elle ? La chanson, le tube dirait-on aujourd’hui, une fois de plus faisait vibrer le haut-parleur du Blaupunkt en acajou. À ma question, ma mère me scruta comme elle scrutait les viscères de nos précieuses ablettes pour en connaître la fraîcheur. Je réitérais ma question. Pour toute réponse elle me tourna le dos et se tapa sur les fesses. C’était donc ça « un petit tra-la-la » ! Oui mais ça servait à quoi ? À part s’asseoir et encore dans ce cas valait mieux qu’il fut gros. Je jetais un regard en biais à ma mère qui vaquait de ci de là : pour le confort elle battait Suzy Delair. Ce fut ma première leçon d’éducation pré-adolescente.
Suzy disparue, conservons pieusement le souvenir de son tra-la-la. Confinés de tous les pays, (J’ai des lecteurs à Chicago) oubliez cette sensation de fin du monde que le silence de la ville -et le maudit virus- vous imposent et quand le scrabble, la télé, internet et la lecture (de mon site) ne vous amuseront plus pensez à redécouvrir le petit tra-la-la de votre compagne ou de votre compagnon... Après avoir couché les enfants, of course !
Jean-Bernard Papi ©Partagez sur les réseaux sociaux
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