Avec Judith Butler.

  Je voudrais que mes petits enfants ne subissent plus avec passivité le genre -féminin ou masculin- qui leur fut affecté à la naissance par la médecine, poursuivit par l’école et assigné par « tous les postulats culturels qui y sont généralement associés » (Judith Butler dixit)(1). Bon très bien mais comment détecter le vrai genre chez un jeune mâle blanc de cinq ans et demi et chez une petite femelle blanche de huit ans ?
  C’est bientôt Noël, rendons-nous dans un magasin de jouets non genrés, c’est-à-dire lorsque les jouets ne sont pas séparés en « garçons » et « filles ». Première tentative avec le jeune mâle blanc. À peine entré il galope entre les rayons à la recherche de l’objet de son cœur : un gigantesque camion de pompier. Je l’entraine devant les poupées tout à côté et autres mignonneries. Un bide ; il les regarde à peine et se détachant de ma main fonce illico vers le camion de pompier. Décidément ce jeune mâle blanc n’a rien compris à l’objet de mon étude ; ils sont pourtant légion, nos enfants, à vouloir changer de genre, 220 par mois dit-on en Grande Bretagne. Mais je suis plus obstiné que lui et je le tire de nouveau vers une cuisine en miniature et un salon de coiffure qu’il examine d’un œil torve. « À quoi ça sert ? ». « À monter un restaurant ou une boutique de perruquier », je réponds en soupirant. La lassitude me gagne. Profitant du temps passé à convaincre la vendeuse que je ne suis pas un pédophile accompagné de sa proie, mon petit- fils retrouve son camion de pompier. Fin de l’expérience : Butler et moi : zéro, le jeune mâle blanc : un.
  Tentons l’expérience avec ma petite-fille. Je lui montre le camion de pompier en l’absence de son petit frère. Elle fait la moue. Et l’établi de bricolage avec ses outils ? Rien. Et les armes factices ? Elle me regarde comme si j’étais subitement devenu gâteux. « Très bien va où tu veux », je soupire. Les poupées et les déclinaisons de Barbie et consort ne lui tapent pas dans l’œil. Elle me tire vers un atelier miniature d’esthéticienne avec plein de pinceaux, de fond de teint, poudre de perlimpinpin de toutes les couleurs et même avec rouge à lèvre et teinture pour les ongles. Je suis outré. C’est ça que tu veux, je gronde ? Et j’ajoute in petto Judith ne sera pas contente et Alice non plus. Puis éploré, je larmoie « pourquoi ça ? »
- Je veux faire le concours de Miss France quand je serai grande.
  Butler et moi : zéro, la jeune femelle blanche : un.
 
(1) Judith Butler est une philosophe américaine. Son livre Trouble dans le genre (1990) Ed. La Découverte a marqué la théorie féministe.
 
Jean-Bernard Papi ©
 

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