Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  

Le Grand Méluche vs l'Impératrice.

Mardi 28 Juin 2022
Le Grand Méluche vs l'Impératrice.

 
1-La nu-paisse du Grand Méluche
   Une nouvelle race d’ouailles est née, « la nu-paisse ». Nu-paisse parce qu’en groupe ils broutent (paissent) jusqu’à mettre le terrain à nu pour y cultiver ensuite des cailloux, l’objectif avoué du berger. Ce sont des moutons très colorés, ce qui évite de teindre leur laine après les avoir tondus bien ras comme il se doit. Leur berger, le Grand Méluche est aux petits soins pour ce cheptel bigarré : et que je te les expose dans un petit coin à l’ombre des éoliennes et que je les soutienne de la voix et du geste pour le cas où ils glisseraient sur une pente mal assurée. Il lui arrive aussi de tendre un poing de cour de récréation ou de pointer un doigt vengeur lorsque des malotrus critiquent trop ouvertement le bien-fondé de cette expérience d’un genre très intersectionnel.
    Le Grand Méluche a su s’entourer de chiens fidèles, des mâtins mal dégrossis toujours prêts à mordre et à lever la patte contre une jambe inconnue. Il éprouve tout de même quelques difficultés à faire vivre ensemble ses fameux nu-paisses car aucun n’est daltonien et n’est guère complaisant pour une autre couleur que la sienne en outre chacun envisage le futur à sa manière. Les moutons rouges par exemple voudraient se lancer dans l’inconnu à la manière de Christophe Colomb sans carte ni boussole et avec un équipage réduit. Les moutons verts au contraire veulent soigner leur petit pré, leur petit puits, leur petit arbre et refusent de voyager autrement qu’en cariole. Les roses, sont les plus coquins prêts à suivre les rouges un jour pour peu que le Grand Méluche leur offre un sucre et les verts le lendemain. Si Méluche lâche ses chiens pour en ramener quelques-uns dans le troupeau, il le fait sans utiliser la force car ils sont susceptibles et leur laine n’est pas suffisamment épaisse pour amortir les coups de bâtons. Cependant il n’est pas disposé à en laisser filer un seul hors de sa vue car ses ouailles sont toute sa fortune et sa fierté.

Jean-Bernard Papi © le 19/06/22
 
2-L’impératrice.
  Elle se sentait reine. N’avait-elle pas rebaptisé son mouvement RN, acronyme qui rapidement prononcé laissait entendre « reine » ? Avec sa petite cour de quelques fidèles, beaucoup de dettes et quelques succès électoraux, cela lui suffisait. Ou du moins cela semblait lui suffire. En secret, pourtant, elle se rêvait présidente de la République. Mais lorsque l’occasion s’en présentait, à chaque fois elle échouait de peu ; le peu nécessaire pour entretenir sa foi en son destin. Ce destin, qui ne pouvait correspondre à son modeste territoire, à sa modeste équipe et ses succès modestes dans quelques villages et bourgades, l’empêchait d’avoir le sommeil tranquille des sans-soucis. En vérité, comme tant de reines par le monde, elle flottait telle une méduse sans beaucoup de moyens, sur les flots tumultueux du corps social français, grapillant ici et là les petits faits qui faisaient sa pitance.  
  Or il advint qu’un journaliste aux dents longues qui ressemblait fort à un Mickey rigolo, avec de l’entregent et des dispositions pour le discours, vint contester sa prééminence. L’un des conseiller de notre reine, un jeune avec le profil d’un corbeau qui aurait conservé au bec son fromage, lui suggéra de visiter ses terres, de remuer le cœur du vilain en parlant d’elle, de ses malheurs et de jacasser tant et tant qu’il en oublie les médisances qui flottaient autour d’elle, autour de sa famille et surtout autour de son mouvement. Et le miracle advint. On se précipita vers elle, on se fit photographier en sa compagnie, sa cour prit une ampleur démesurée et sa députation envahit l’Assemblée nationale de ses cris et de ses requêtes. De ses requêtes ? De ses exigences !
  De petite reine à trois sous elle se découvrit soudainement impératrice. Impératrice, elle pouvait désormais songer à fonder sa dynastie. Déjà ex-époux, enfants, sœur et nièce tiraient des plans sur la comète. Elle allait aussi fonder une religion d’amour autour de sa personne, disposer d’une milice et d’un fan club pour défendre son impériale dynastie, entrer au plus vite au gouvernement et enfin être Présidente. En l’écoutant son vieux père fondit en larmes.

Jean-Bernard Papi © le 23/06/2022
 
 

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