Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  

Le Général des Mouches,

Vendredi 15 Novembre 2024
Le Général des Mouches,
  Aujourd’hui, il est de bon goût de se plaindre de l’administration française, elle serait inefficace, chère et envahissante. J’utilise à dessein des qualificatifs bateaux et peu compromettants car je sais que quelques fonctionnaires me lisent et je ne voudrais pas me les mettre à dos, en particulier ceux qui surveillent mes déclarations d’impôt. Reconnaissons tout de même que l’administration française en ce qui concerne le recrutement de ses agents, est foisonnante comme un couple de lapins qui accumulerait les naissances sans se soucier de l’intendance. Ce type de foisonnement administratif a été traité par plus érudits que moi et fut même analysé par quelques britanniques dont l’administration devint brusquement obèse lorsque furent réintégrés en métropole les fonctionnaires en poste dans les dominions à la création du Commonwealth, après la dernière guerre.
  J’ai repris cette analyse dans une nouvelle intitulée « Le Général des mouches » (1). En voici le résumé : Le lieutenant-colonel Lebouc affecté au ministère des armées à Paris tombe en disgrâce et subit une arabesque latérale selon Peter (2). Il possède bien un bureau, fort bien situé, mais n’exerce aucune fonction au sein du ministère et il s’ennuie. Or un jour de printemps, il s’avise qu’un nombre important d’insectes, mouches diverses, punaises, coccinelles et moustiques souillent son sous-main immaculé. Chaque jour, il se prend à les compter et à les répertorier statistiquement suivant une méthode que ne renierait pas un entomologiste chevronné. Il en déduit, on ne sait jamais, que cette population devait absolument être connue de sa hiérarchie. (On admettra que, par tradition, tout incident dans l’environnement de ce ministère peut présenter un danger pour l’état et la préparation des forces armées en général et la disponibilité des personnels d’états-majors en particulier.)
 Son premier rapport, quelques pages, intéressa le chef d’état-major qui en référa au ministre, lequel, sans l’avoir lu, réclama des précisions. Ordre fut donc donné à tous les bureaux de vouloir bien établir les mêmes relevés entomologiques chaque jour et de les communiquer à Lebouc. Ce dernier au bout de quelques mois, devant l’ampleur de la tâche, réclama l’appoint de plusieurs secrétaires et de statisticiens en nombre suffisant pour comprendre et traiter ces listes variées et complexes. Au bout d’un temps, il apparut qu’une petite imprimerie devenait indispensable pour éditer le rapport mensuel de 500 pages, texte et illustrations, destiné au ministre ainsi que les rapports hebdomadaires et semestriels, la com., destinée aux nombreux abonnés. Dans le « 500 pages » Lebouc se contentait de rédiger son avis sur un feuillet à part dans lequel il insistait pour que soit suivi le développement des colonies d’insectes dont la population et les espèces s’étaient enrichies considérablement (3). On ne sait jamais.
  Nommé général et sauveur de la patrie, Lebouc aujourd’hui occupe avec son personnel tout le premier étage du ministère. Il se plaint depuis peu d’un manque criant de place et de moyens. Il envisage de demander la construction d’un bâtiment pour lui et ses équipes. »
  Première conclusion à l’issue de ce texte : il y a beaucoup trop d’insecte dans les ministères de la République ; mais ça on le savait. Secondement il apparait que le foisonnement incontrôlé de l’administration est souvent provoqué quand une charge de travail nouvelle lui est demandée sans que soit précisé au préalable les buts à atteindre et sans mettre en place les cadres qui régiront et limiteront cette activité.   
Jean-Bernard Papi ©
(1) Lisible sur mon site jean-bernard-papi.com, pagination : Nouvelles.
(2) Le principe de Peter. 1969. De LJ Peter et R Hull. L’arabesque latérale ou « placardisation ».
(3)
Lebouc justifie ici « une forme d'emploi rémunéré si totalement inutile, superflu ou néfaste que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence, bien qu'il se sente obligé de faire croire le contraire » écrit David Graeber (dcd en 2020) (in Bullshit jobs).
 

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