Dona Maria Quand Dona Maria Segalla
Traverse San-José, le vendredi à midi
c'est pour se rendre au cimetière.
Sur la tombe de Don Luis Segalla
décédé à septante huit ans
de mort naturelle
vendredi
voici un an.
Dona Maria Ségalla
marche
dans la rue,
vêtue de noir
depuis un an, comme il est prévu
que cela soit
à San-José.
Sa jupe noire
colle sur ses cuisses,
sur ses fesses, sa fierté,
rondes et dodues.
Elle a lissé ses bas.
La vieille Célestine a vérifié
qu'ils étaient bien droits
puis a posé la mantille noire,
noire comme le pelage des taureaux,
sur les cheveux blonds
de Dona Maria.
Qui est née à San-Sébastian
il y a trente ans.
Calle San Juan, Don Esposito
le coiffeur, entrouvre ses rideaux
comme l'exigent les clients,
quand Dona Maria traverse la rue.
Plazza Major
bavardent les étudiants.
Ils se taisent, Senior,
quand passe Dona Maria
la folle de son corps.
Les voix chuchotent et se font basses
quand Dona Maria passe.
Carlos le notaire et Juan le banquier
quittent leurs dossiers pour regarder
la riche et belle
et jeune Dona Maria
qui éblouit la rue sans ombre
et réveille de ses talons pointus
l'église de la Vierge sombre.
Dona Maria sait-elle
qu'on l'a vue embrasser Pablo
quand devant le curé,
le front baissé,
cent fois agenouillée
elle laisse perler
une larme de sueur au coin de sa paupière ?
Jean-Bernard papi©
Ce sont de vieilles petites filles
blanches et grises
qui poétisent
entre photos et camomille.
Elles écrivent : Les roses sont fanées dans le vieux vase
Et leur emphase
s'alanguit de mots surannés.
Elles racontent leurs amourettes
en capelines
dans l'Indochine
des capitaines de corvette.
Elles habitent des sous-préfectures
et se souviennent
des valses à Vienne,
Noël à la Kommandantur.
Elles cachent des jardins secrets, des boucles blondes
et correspondent
avec de vieux messieurs discrets.
Pincent du bec quand elles me lisent
négligemment,
car de leur temps
on n'écrivait pas telles bêtises.
Jean-Bernard Papi ©
Tout condamné à mort aura la tête tranchée !
Quelle horreur ! s'écria le condamné Landru.
Quelle horreur ! reprirent en choeur dans leurs tranchées
les capitaines, les caporaux et les poilus.
C'est un déshonneur pour la France !
dit la maman de la jolie fillette
du petit bois derrière chez moi
qui sera, pourtant, aux prochaines vacances,
zifolette, pan-pan, turlurette,
et même violée de surcroît.
Ce sont là pratiques d'un autre âge !
déclara aux caméras
(et aux grenouilles du marécage)
un noble apôtre des scélérats.
Ainsi fut amendée la loi
et comme l'a dit ce bon François :
Condamner à mort c'est pas humain
pour l'assassin, pour l'assassin.
Jean-Bernard Papi ©
Il est un endroit tout farci de plastiques,
de matelas jaunis, de poussettes rouillées
où j'aime à flâner en écrasant des briques
au long de haies fleuries de fers entortillés.
Cent merveilles sont ici déposées
que protège la police des rats,
tant de prodiges qu'on dirait un musée
tout à la gloire du choléra.
J'écoute assis près de sa source
goutter une huile de pétrole,
sa musique à mon oreille est douce
on est si bien à l'ombre des bagnoles.
Sous de tendres volubilis,
me fiant à mon nez d'antiquaire
je découvre, oh, les prémices
d'une officine d'apothicaire.
N'écoutez point les sauve-qui-peut
même si, parfois, une nausée
saisit le philosophe qui veut
dans les orties herboriser.
Protégeons ce refuge à poux
caché dans l'ombre des châtaigniers
chérissons ce jardin de gadoues
bourré d'objets très singuliers.
Passants qui vous délestez je vous prie,
de n'en point troubler l'harmonie.
Jean-Bernard Papi ©