Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                        Il n'y a de recette de jouvence que le rire.
                       Partageons nos plaisirs. Vous lisez ! J'écris !      
                                         Contre la torture suite 2.
                    Texte paru dans Poésie Première n°23 en 2002 (Billet d'humeur)



   (À propos du général Assaresse et de ses mémoires.)
   Je ne voudrais pas quitter Aussaresses sans faire une ou deux petites remarques sur la torture. Le général Aussaresses qui fut en 1955, avec le grade de commandant, chargé de la liaison entre les parachutistes, la préfecture d’Alger et les services de police de cette même ville, a reconnu dans un livre intitulé « Services spéciaux, Algérie 1955-1957 », avoir torturé, à cette époque, des membres du FLN durant ce que l’on appel aujourd’hui « La bataille d’Alger ». Je ne dirai rien de cette bataille, je vous renvoie aux documents qui en traitent (1). On peut attribuer aussi à Aussaresses, toujours durant cette période, la récupération et l’exploitation des fichiers des Renseignements généraux réputés alors inactif.
   Pourquoi s’en émouvoir à grand fracas de cris et de gémissements aujourd’hui, alors qu’à l’époque ceux qui lisaient un tant soit peu les journaux ne pouvaient l’ignorer ? Pas plus qu’ils ne pouvaient ignorer que dans le même temps des documents, tout ce qu’il y a d’officiels, étaient transmis par les bien-pensants d’alors à la commission des Droits de l’homme de l’ONU aux fins de sanctions éventuelles. « Ce sont des choses qui étaient connues » affirme même aujourd’hui, à l’envoyé du Washington Post, un ancien ministre FLN, vétéran de la lutte pour l’indépendance. Des généraux, anciens de cette guerre dans un mémorandum récent ne nient pas la torture et tentent de la justifier. Un ami m’a signalé que sa mère qui lisait, elle, les journaux s’en était émue et lui avait demandé par écrit s’il torturait lui aussi des Arabes. Il servait alors dans une unité d’aviation et le seul arabe qu’il fréquentait assidûment était le cuistot du mess. « C’est plutôt lui qui nous torture matin, midi et soir » avait-il répondu après réflexion.
    Car le mot recouvre bien des choses, on parle de torture physique mais aussi de torture morale et l’on crie à la torture des animaux dans les laboratoires. Faut-il rappeler que la torture, de tous temps, fut destinée à obtenir des aveux (pas forcément fiables). Les Romains, la loi le prévoyait, l’utilisaient pour « certifier » les témoignages des esclaves qui n’avaient pas d’existence juridique et dont la parole devait être éprouvée par la souffrance. Seul le courage manifesté à cette occasion pouvait les rendre digne de foi. Sous l’Ancien régime, la torture, la question, était également utilisée pour obtenir des aveux mais il fallait que l’aveu soit réitéré plusieurs fois pour que la preuve soit certaine. Une ordonnance royale en 1670 limite la question aux cas les plus graves. La révolution française l’abolit et la convention de Genève de 1949 interdit « toute contrainte physique et morale visant à arracher des aveux ou à obtenir une collaboration contre sa volonté. » Il n’empêche que l’on entraînait les pilotes de guerre français à résister à la torture en leur faisant écouter pendant 48 heures d’affilée le Boléro de Ravel au temps farceur de la guerre froide.
    On devine assez bien que les nombreux conflits depuis 1949 ont peu ou prou respecté ce vœu pieux en se basant le plus souvent sur les « impératifs hypothétiques » selon Kant. A savoir une défense dans l’urgence de la civilisation et des individus ou encore l’élimination rapide des personnages les plus dangereux au nom d’une justice sacrée. C’est le cas aujourd’hui pour Ben Laden et ses séides dont la tête est mise à prix mort ou vif. Rappelons que lors des grandes purges de 1937 en Union soviétique la torture, en vue d’obtenir des aveux, est institutionnalisée par le Goulag. Les inquisiteurs catholiques, grands utilisateurs de la question devant l’Eternel, admettaient par la voix de Nicolas Aymeric « que la torture peut faire mourir les plus forts sans qu’ils avouent et faire avouer les plus faibles indistinctement ». Jeanne d’Arc se renia sur une simple menace de torture.
   Si l’on admet l’extension de la torture à la simple contrainte morale, selon les termes de la convention de Genève, alors la description des multiples enfers, qu’ils soient chrétiens ou bouddhistes, a de quoi faire fléchir les âmes les mieux trempées et constitue une torture patente. Une parfaite illustration en est la magnifique peinture des âmes damnées tourmentées par les démons de Lucifer qui orne l’intérieur du dôme de la cathédrale de Florence. Cette torture là n’est pas donnée au premier venu car il faut, malheureusement, monter un nombre incalculable de marches pour y accéder.

Ci-dessus torture moderne avec portable.

   
   Revenons à nos parachutistes dans Alger. Il fallait, selon une directive du gouvernement « accentuer l’effort policier » et les ministres d’alors, Guy Mollet, Bourges-Maunoury et François Mitterrand confièrent à l’armée les pouvoirs de simple maintien de l’ordre et non ceux de l’état de siège. La loi française prévoit, ou prévoyait, l’état de siège applicable en cas de guerre ou trouble graves. Ce qui entraîne la dévolution des pouvoirs de police aux militaires et l’établissement de cours martiales jugeant en flagrant délit. L’état de siège ne fut appliqué que pour la commune de Paris en 1871. En ne le demandant pas pour l’Algérie, le gouvernement laissait les militaires livrés à eux-même d’où certaines exactions amplifiées par les médias et les mouvements politiques. Des interrogatoires musclés eurent lieu tout au long de la guerre d’Algérie menés par les services de renseignement des troupes de choc au contact direct de l’ennemi, et pas seulement lors de la bataille d’Alger. Interrogatoires qui furent menés également en Indochine, mais ce
lle-ci était loin de la mère patrie.
    Par bonheur beaucoup de fellaghas, à l’image de Jeanne la Pucelle, préférèrent parler avant de subir la gégène, une génératrice de courant alternatif utilisée pour faire fonctionner les postes radio dans le bled, avaler du Mir ou se faire emballer dans une peau de cochon. Certains préféraient d’ailleurs passer du côté de l’armée française avec armes, bagages et informations. Cas des unités de ralliés, "commando Georges" par exemple. Impardonnables par contre furent les exécutions sommaires qui ne sont que des actes criminels que rien n’excuse, pas même la barbarie.
   Si les militaires sont censés n’obéir qu’au pouvoir civil légal, encore faut-il que celui–ci se manifeste au sens noble du terme et exerce ses prérogatives, même si l’opprobre de l’histoire doit au final entacher la carrière d’un représentant du peuple. En n’encadrant pas les actes militaires par la loi, le gouvernement d’alors laissa certains centurions se fourvoyer dans des actes de 
basse justice dont le pays à honte aujourd’hui. Quelques-uns par un singulier acte d’indiscipline dénoncèrent ces pratiques. Ainsi le général Paris la Bollardières dans l’Express du 27 avril 1957 refusait de « perdre de vue sous le fallacieux prétexte d’efficacité immédiate les valeurs morales qui seules ont  fait la grandeur de notre civilisation et de notre armée ».
   Plus tard, l’armée française s’interrogera, dans le cas où le pays serait envahi par les troupes du pacte de Varsovie, sur le nombre d’unités de l’armée de terre et de bases aériennes de l’Est du pays qu’il faudra sacrifier, hommes et matériels, avant que la nation accepte de prendre les armes. Nous n’en sommes plus là, mais rien n’empêche d’y réfléchir. Aujourd’hui ce sont les USA qui se posent, plus ou moins ouvertement, la question de la torture face au terrorisme. Gageons que, en références aux fameux impératifs hypothétiques cités plus haut, ils referont surgir, en Afghanistan ou ailleurs, le spectre noir de la torture et des éliminations discrètes.
   Peut-on leur en vouloir ? Doit-on les condamner ? Il semble bien que la torture, au même titre que le napalm, les bombes à fragmentation ou au phosphore, les missiles de croisière, les drones, les appareils de vision nocturne ou l’hélicoptère de combat, figure peu ou prou dans l’équipement militaire contemporain. Mais dans ce cas il faut que le pouvoir civil se mouille et surveille la chose de très près, c’est aux élus de dire jusqu’où il ne faut pas aller. Ensuite on pourra se scandaliser !
(1) Voir les pages précédentes.

Jean-Bernard Papi ©
 
                                                                             Torture musicale ?