Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète
La littérature est un art de combat.
Petite histoire de la prostitution (suite et fin)
La note d'information qui va suivre, toute volontairement naïve et paternaliste qu'elle soit, montre combien les préoccupations d'aujourd'hui sont de tous les temps. L’auteur, le Général Dubail (1851-1934) fut un des plus humains et des plus brillants chefs de guerre en particulier durant les années 1914-1918. Auteur de livres de géographie, d’instruction et d’éducation militaire, ce texte montre ses préoccupations hygiénistes dans une époque où un jeune homme sur deux contractait une ou plusieurs maladies vénériennes.
Toulouse Lautrec : La visite médicale
Conseils, in-extenso et authentiques, du Général Dubail aux élèves de l’école spéciale de Saint Cyr. ( Rédigés vers 1906)
I. L'ALCOOL :
L'alcool est la plus funeste boisson que l'homme ait jamais trouvée. L'usage de l'alcool est un danger national : il abâtardit la race humaine et compromet l'avenir de notre pays. L'alcool ne fortifie pas : il agit comme un coup de fouet et cause ensuite une fatigue équivalente à l'excitation passagère qu'il a provoquée. L'alcool ne réchauffe pas : il faut se méfier de l'impression de chaleur produite par la poussée du sang à la peau, où il vient se refroidir. Un quart d'heure après on a plus froid qu'auparavant. L'alcool n'est pas un aliment : il passe dans le sang, brûle tous les organes et agit comme un poison. L'alcool n'est ni un apéritif ni un digestif : il fait, au contraire, perdre l'appétit et arrête la digestion. L'alcoolisme prédispose à toutes les maladies : il facilite l'invasion de la tuberculose, de la phtisie, de la pneumonie, de la fièvre typhoïde et des rhumatismes. Il étouffe tout noble sentiment : l'alcoolique ne pense plus qu'à sa passion ; il oublie ses devoirs, sa famille ; les hallucinations de son cerveau débile le poussent au suicide et au crime. C'est l'alcool qui remplit les asiles d'aliénés et les prisons. L'alcoolisme diminue la natalité : la population décroît graduellement dans les départements où l'alcoolisme est le plus répandu. L'alcoolisme atrophie la race : les enfants des alcooliques ont presque toujours des vices de conformation, quand ils ne sont pas épileptiques ou scrofuleux. En un mot, l'alcool rend mauvais fils, mauvais soldat, mauvais citoyen, mauvais mari et mauvais père. Prend garde, camarade, il n'est pas nécessaire de s'enivrer pour devenir alcoolique : il suffit d'avoir la mauvaise habitude de l'apéritif ou du petit verre journalier. Si tu veux rester sain, vigoureux et capable d'être utile à ton pays, fuis l'alcool sous toutes ses formes ; contentes-toi du vin, de la bière, du cidre et autres boissons hygiéniques. On peut boire sans inconvénient un litre de vin par jour quand on fait un travail pénible, un demi-litre dans le cas contraire. Prends aussi du café et du thé : ce sont des boissons légèrement stimulantes. Mais renonce à l'alcool, si tu ne veux pas t'empoisonner lentement.
II. - LES MALADIES VENERIENNES :
Le mal vénérien fait également de terribles ravages dans notre pauvre humanité. Quand on pense qu'il suffit de l'imprudence d'un moment pour assombrir l'existence entière, on a peine à s'expliquer la facilité avec laquelle on se laisse parfois aller aux propositions d'inconnues de bas étage. Le moins qu'on puisse rapporter du contact avec une femme malsaine est un chancre mou, ulcération contagieuse qui, bien et promptement soignée se guérit radicalement. S'il est négligé au contraire, le chancre peut envahir la verge et même la détruire en partie, sans compter les bubons suppurés qu'il provoque dans l'aine. Il faut craindre aussi la blennorragie. Cette affection communément appelée « chaude-pisse », à laquelle on a souvent le tort de ne pas attacher grande importance, peut se compliquer d'orchite, qui rend l'homme incapable d'avoir des enfants ou amener le rétrécissement du canal et empoisonner l'existence du patient qui ne pourra plus uriner sans le secours d'une sonde. Mais le plus à plaindre est le malheureux qui contracte la syphilis ou vérole. Tandis que le chancre mou et la blennorragie mettent une huitaine de jours à se révéler, la syphilis n'apparaît qu'un mois et quelquefois davantage après le contact impur, sous la forme d'une petite ulcération ou d'un simple bouton qui peut passer inaperçu. Et cependant c'en est fait, le virus s'est déjà répandu dans le sang, l'homme est empoisonné, trop souvent hélas, pour le restant de ses jours ; car on n'est jamais sûr, même après un long traitement, qu'une guérison apparente soit définitive. La marche de cette épouvantable maladie est très irrégulière ; après le chancre qui disparaît assez vite, viennent, à des intervalles variables, dans la bouche et autour des orifices naturels des taches suintantes (accidents secondaires) qui sont des plus contagieuses et font du malheureux qui en est atteint un être répugnant et dangereux pour ceux qui le fréquentent. Plus tard encore, les accidents tertiaires peuvent amener des tumeurs, des ulcérations qui détruisent le palais, les os du nez, quand ils ne rendent pas le patient aveugle, ataxique ou paralytique pour ses vieux jours. Mieux encore, la vérole devient un mal héréditaire et poursuit le malade dans sa postérité. Ce sont les syphilitiques qui nous donnent des enfants rachitiques, scrofuleux ou ataxiques comme leurs pères : malheureux êtres destinés à disparaître après une courte et misérable existence ou qui sont les meilleurs agents de dégénérescence de notre race, s'ils arrivent à faire souche. Voilà, soldat, à quoi tu t'exposes en t'adressant à des inconnues. Que ce sombre tableau reste présent à ton esprit pour te faire fuir, comme la peste, les filles des débits interlopes et des brasseries aussi bien que les rôdeuses des rues. Si tu veux rester sain et donner à ton pays des vigoureux citoyens, ne t'adresse qu'à bon escient (jamais à la prostitution clandestine) et marie-toi de bonne heure, dès que tu auras payé ta dette à la Patrie. Dans tous les cas, si tu es assez malheureux pour contracter une affection quelconque, va sans crainte confier ton secret au médecin ; il n'y a pas de maladie honteuse et un traitement immédiat est quelquefois souverain ; mais n'hésite pas non plus à signaler la femme qui t'a contaminé : c'est un devoir de préservation mutuelle, de véritable camaraderie
Signé : Le Général Dubail, Commandant l'Ecole spéciale militaire de Saint Cyr.