Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète
La littérature est un art de combat.
Les saisons
suite 3 ( Hiver)
XIV
Le froid a saisi ma campagne au ventre et lui tord les tripes le vieux pommier supplie et la mousse à ses branches pleure ses cris de gel une poussière de glace comme un voile du ciel enveloppe mes cheveux et sur mes doigts s'agrippe la peur est un silence qui sonne comme un glas.
Comme le vieux meurt pour que naisse l'enfant le froid touche du doigt l'oiseau et le passant la larve ou le taureau. C'est l'image d'un dieu que ce soir on égorge et dont le sang trop chaud fume encore dehors sur les chemins du vent sur le gui et le houx dans la glèbe et la vigne sur tout ce qui se fait, sur les chaînes qui se forgent chez les nouveaux tyrans dont nul ne lit les signes si ce n'est quelques-uns que l'on traite de fous.
C'est cela l'hiver : cette main mortelle qui nous gifle les joues et qui nous fouille au coeur. Demain, comment sera demain ? après la nuit trop longue le décompte des heures c'est le temps des pythies le dire des devins. Demain, comment sera demain ?
XV
Hermeline mitonne des châtaignes des confits, du foie gras je m'occupe des vins comme tout est simple avant festin on fait taire la bréhaigne le mal disant, le tors et le triste c'est l'instant du bon, du doux du gentil, de l'agneau...
Dans le temps on a connu des loups que la faim poussait hors des forêts dit Hermeline, je me souviens que la piste traversait le hameau...
On écoute, les yeux plongés dans l'hiver et les mains près d'un feu de genêt il me semble que sur la route passent les échines ployées des bêtes de l'enfer et que l'oeil mauvais des dévoreurs d'enfants crève d'une flèche de glace un souvenir venu du fond des temps.
XVI
Approche ma câline lève la couverture et glisse ta peau docile sous ma lèvre bourrue.
Approche mon étincelle ma flamme des collines ma poignée d'herbes dures et mon vallon fertile. N'éteins pas la chandelle il y a panne aujourd'hui et la télé est morte n'en parlons plus.
Je me souviens des mots qui te changent en oiseaux et si le vent hurle qu'importe c'est l'été dans notre lit.
XVII
Hermeline dit que les oiseaux voyagent les grues les canards les cigognes et même le rouge-gorge ce bourgeois qui s'établit chez moi et qui me met en cage qui d'un oeil courroucé me surveille et me lorgne s'en ira au printemps peut-être chez les Anglais.
J'ai jeté du pain dur sur l'herbe grise l'oiseau à cloche-patte y fait une marelle et le chat qui n'aime rien d'autre que Ronron-Boulette traverse la marelle comme un prince saoudien. Peinture Breugel l'ancien C'était une publicité-télé, dit Hermeline. Retourne à ton ouvrage, cousine et laisse moi rêver. Moi qui suis moins qu'un chat, moins que rien voici que j'ai des ailes et l'ardeur d'un insecte, je cherche ces vents forts, ces autans et ces bises qui doivent m'emporter vers de lointains soleils.
Ma fenêtre disparaît sous un coton de bruine.
XVIII
J'aimerais que l'on discute sérieusement s'il vous plaît de l'heure d'hiver de l'heure d'été et de cette bête culbute que l'état qui veille à tout m'impose en punition de me lever matin chaque jour que Dieu fait.
Moi, je me fous de l'heure du carillon. Pour me mettre debout l'ombre de mon clocher ou même du minaret me suffit. Et quand le grand bedeau de Paris change l'heure de mon appétit et sonne midi à vêpres je dis : permettez, permettez ! le bonheur ici-bas du poète vaut bien celui de vos banquiers.
XIX
Les narcisses sont en boutons le magnolia aussi dit Hermeline l'hiver n'est pas fini que se construit le bon temps des fleurs fraîches et des pesants bourgeons
le soleil s'étire et ouvre sa fenêtre entre deux petits gels entre deux jolies bruines il tisonne son feu et fait chanter le vent. Le brouillard est bien gai ce matin. Comme un voile de mariée le voici déchiré et noué, ici c'est au clocher plus loin dans l'arbre du boulevard mais le conducteur peste contre le brouillard je ne serai pas à l'heure au rendez-vous et il se met à rouler. À rouler. Comme un fou. Car on connaît l'histoire ; et patin-couffin...