Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  
(Journal de guerre suite )

23-5 Au moment où nous sommes arrivés il était 1heure du matin et jusqu’à 3 heures la musique a continué avec accompagnement d’artillerie. Enfin tout s’est calmé et avons passé la journée sans incident. Avons fait un toit pour l’abri avec des gerbes d’avoines coupées en septembre dernier.
- 24-5 Ce matin à 2h1/2 vive fusillade comme la veille. À 3heures 15 c’était fini. La journée s’est passée dans le calme.
25-5 (Moselle) Avant-postes d’Ipling. Avons été relevés des avant-postes ce matin à 5heures et sommes venus en side-car à Keskastel (Ippling-Keskastel 21km) et devons en repartir ce soir. Avec quel plaisir j’ai pris un bain dans la rivière qui passe tout à côté du patelin. Cela faisait  trois jours que je ne m’étais pas lavé, n’ayant pas d’eau.
26-5 (Meuse) Sommes partis ce matin à 5 heures de Kestkastel pour arriver à 11heures à Koeur-la-Petite. Avons fait 160km. Route sans incidents.
27-5 (Marne) Sommes repartis de Keur-la-Petite à 6h30 arrivé à Auve, tout près de Chalons-sur-Marne à 10h30. Le patelin est tout petit il n’y a ni bistrot, ni magasin d’aucune sorte. Ce n’est pas ici que l’on prendra une cuite.
29-5 Nuit, journée calme, on se repose car on en a besoin.
30-5 Comme la veille. Rien à signaler.
31-5 RAS                                                                                   
1-6 Toujours au repos. RAS                             
2-6-40 RAS
3-6-40 RAS
4-6-40 Journée calme. On doit partir ce soir d’Auve à 8h1/2, direction inconnue . Sommes arrivés à Vaudemange à 11heures.(Châlons-Vaudemange 21km. Vaudemange photo ci-contre)
5-6-40 Le pays malgré son peu d’étendue n’est pas désagréable. On peut boire du vin de champagne. C’est le meilleur que j’ai bu il y a longtemps.
6-6-40 Journée sans histoire. Avons été survolés par 11 avions allemands qui ont jeté 4 torpilles. Heureusement qu’elles ne nous sont pas tombées dessus.
7-6-40 Partis de Vaudemange à 3h1/2 du matin. Arrivés dans un village à 4km de Vaudemange qui s’appelle Ambonnay. Un temps superbe, avons bu du champagne dans la cave même du producteur. C’était tellement bon, je n’en avais jamais bu de meilleur. Malheureusement voici l’ordre de partir, il est 19 heures. Sommes partis à minuit.
8-6-40 Arrivés à 1 heure à Bouy. Un petit pays sans grand intérêt. Là il n’y a pas de champagne. D’après le capitaine il parait que l’on en a trop bu à Ambonnay, maintenant il faut se restreindre.
9-6-40 La matinée a été plus mouvementée. Un avion a été abattu, nous avons été désignés pour aller à sa recherche. Avons découvert l’appareil, mais ce n’était pas un boche. C’était un Curtiss piloté par un Français, le malheureux avait reçu trois balles et une fracture du bras. Malgré cela il avait pu atterrir sans avarie, l’appareil était criblé de balles, c’est un miracle qu’il ait pu s’en sortir.
 
                              Le carnet s’arrête là.


Le 10-6-40 il écrit à sa femme «  … On doit repartir pour un autre patelin à 18h1/2 et il est 18h… » Apparemment le 82ème GRDI se porte en avant de l’ennemi. Sans trop savoir où il se trouve.

Le 11-6-40 Laurent Papi est blessé par les Allemands alors qu’il effectuait une patrouille en side-car sur l’axe Marfaux-Chaumuzy-Fismes. Arrivé à hauteur de Chaumuzy il a été atteint de deux balles de mitrailleuse à la poitrine. L’une d’elle a d’ailleurs traversé son livret militaire qu’il portait sur lui. Un de ses camarades dans un second side-car a été blessé. Laurent mourra quelques minutes après et sera enterré près du monument aux morts de Chaumuzy (voir ci-contre). Lors de son exhumation en vue de transférer le corps dans le cimetière communal on s’apercevra que tous les objets de valeur qu’il portait sur lui, montre et alliance avaient disparu. Il sera réinhumé au cimetière de Louyat à Limoges (Haute Vienne) le 2 décembre 1949 concession 38194 section 70.

  Il aura le temps d’écrire quelques mots au dos d’une enveloppe destinée à sa femme :
   "Aujourd’hui 11-6-40 j’ai été touché par deux balles et je vais mourir en pensant à ma femme, mon fils et mes parents et beaux parents je les embrasse tous pour l’éternité. Laurent" au dessous "Remettre à l'adresse derrière"  (Adresse de sa femme.)

Enveloppe avec les derniers mots de Laurent.    
PlanChaumuzy-Marfaux (détails)



                  



 





Ci-dessous le plan général Chaumuzy-Marfaux voir les flèches

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  Voici le récit des événements fait par le Lieutenant Roussignhol, chef du peloton moto le 13 octobre 1940 :
« Le 11 juin 1940 je me trouvais à Pourcy au sud-est de Fismes. Apprenant que les Allemands étaient aux environs de Fismes le Colonel m’avait donné l’ordre de faire une reconnaissance dans cette direction.
J’ai donc envoyé une patrouille sur l’axe Marfaux-Chaumuzy-Fismes. Cette patrouille était composée de 3 side-cars montés l’un par le brigadier-chef Papi, conducteur et le maréchal des logis Guyot chef de patrouille. Le 2ème par le brigadier-chef Perrin, le 3ème par Decenty  et Milpieds. Cette patrouille, après avoir reconnu le village de Marfaux s’est avancée sur le village de Chaumuzy.
Au moment où j’arrivais moi-même à Marfaux j’ai entendu des coups de feu venant de la direction de Chaumuzy. J’ai immédiatement envoyé une nouvelle patrouille pour dégager la première mais elle n’a pu arriver jusque là et s’est repliée sur le village de Marfaux dont j’avais aussitôt installé la défense.
Milpieds a pu revenir quelques heures après et m’a rapporté que Perrin avait été fait prisonnier que Laurent Papi et Decenty avaient été blessés et le maréchal des logis Guyot était resté pour les soigner.
Depuis ce temps j’ai su que Guyot avait été fait prisonnier alors qu’il se tenait auprès de Papi. »

Livret individuel militaire de Laurent Papi avec, au centre, l'impact de l'une des balles de mitrailleuse

 
 
 
  






          Ci- contre  Citation à l'ordre du Corps d'Armée
               en date du 17-12-41                                         
Croix de Guerre 39/45 attribuée à Laurent PAPI


 















Jean-Bernard Papi © 2010
                                                                   
                Patrouille de side-car
 1939-1941                                                                       

Petite revanche sur ce malheureux destin, moi son fils, je suis né le 8 mai 1939 ; le 8 mai cela ne vous rappelle rien ? Le 8 mai 1945 marqua la fin de cette Seconde Guerre mondiale. Les combats contre l'allemagne prirent fin à 23h01. J'avais très exactement 6 ans.
                                                                                                                                              
En guise de requiem pour Laurent : Extrait de "La Diane française" de Louis Aragon.                        
    ...Et il est indiscutable qu’on y avait, plus que des héros, gardé souvenance des infirmes que lui avait valus la dernière épopée et dont on souhaitait qu’elle fût bien la dernière, et qu’il en était sorti un enseignement d’humanité que renie qui veut ! je ne puis pourtant désapprouver, car c’est misère que l’homme soit à l’homme loup, même si cette vérité profonde et banale nous revient de temps à autre d’un philosophe à une guerre, et d’un article de journal à une pauvre tête de fou. Et il est indiscutable que, de ces longues listes d’or dans le marbre des tués de chaque bourgade, on peut à la fois tirer gloriole et prendre une inverse leçon, si bien que les gens écoutaient volontiers ceux qui parlaient avec la paix dans la bouche, et disaient qu’elle est sans prix, ce qui est vérité, mais aussitôt en déduisaient qu’il n’est pas de prix qu’on ne donnerait pour elle, ce qui mérite réflexion ; car la lumière est précieuse, mais non point si je dois la payer de mes deux yeux crevés. C’est pourquoi les discussions allaient leur train sur ce sujet, provoquant l’indignation de ceux-là qui aiment les belles armes bien fourbies, et les signes de la dignité qui commande écrits d’or et d’argent aux manches des chefs choisis. Qui n’admettaient au reste point que les défendissent ceux-ci qui voulaient des armes dans la nation, mais à des fins qu’eux suspectaient, entendant que tout le monde n’est pas destiné à la noblesse des combats..