Notre général-gouverneur, comme tout un chacun vieillissait et regrettait son village, sa maison, ses dromadaires aux yeux tendres et ses quelques amis restés là-bas. Il se félicita donc de la décision de son maître malgré les sympathiques jeunes filles du "Joyeux Roudoudou" invitées régulièrement au palais lors de repas fins entre gens de bonne compagnie. Je n'en dirai pas plus. Avant de quitter notre pays et de rassembler ses troupes pour un défilé d'adieu, il décida d'accomplir une action symbolique qui témoignerait pour l'Histoire de son passage chez nous. Il fit remplacer sur tous les clochers, les monuments et les drapeaux, le coq fier et vibrant qui jusqu'alors servait d'emblème à notre peuple, par un délicieux petit lapin courant au regard malicieux et à la queue ma foi en forme de houppette à poudre du plus bel effet. Le pays tout entier applaudit à tant de sollicitude et de bon goût. Il se trouva même des intellectuels, dont le célèbre Béhachelle, pour vanter l'intelligence proverbiale du lapin et blâmer les fanfaronnades du coq, lesquelles, on l'avait bien vu, ne peuvent mener qu'au désastre.
IL ne restait plus au général qu'à mettre en place son successeur avec ce que cela supposait de tractations et de négociations épineuses parmi l'élite du gouvernement et les chefs de partis. Par bonheur, il n'en fut rien, le bossu, alors que rien ne le laissait prévoir, reçut l'aval unanime des conseillers, des militaires et des membres des corps constitués. Il règne depuis sur notre merveilleux petit pays avec une sagesse et une pertinence exemplaires, avec l'aide cependant du Saint Nom de qui vous savez et du Chef de la Police Secrète car il ne peut y avoir de liberté vraie que sous la contrainte. Une maxime qu'il a fait apposer sur tous nos billets de banque et aux frontons de tous les édifices publics.
Personnellement, j'occupe son ancienne loge, tout près du bureau de son Excellence.
Jean-Bernard Papi ©