Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète
La littérature est un art de combat.
Le père se tourne vers son fils. – Qu’en penses-tu mon fils ? N’est-il pas d’une grande valeur l’auteur d’un tel exploit ? Tu sais maintenant lequel de nous deux, ou de toi ou de moi, avait tort. Je ne voudrais pas, même si l’on m’offrait la ville d’Amiens, que tu n'aies à le combattre. Tu t’es pourtant rebellé avant qu’on t’en détourne ! Nous n’avons plus qu’à nous en retourner car ce serait une grande folie que de les suivre encore. – Je suis d’accord, cela ne nous servirait à rien de les suivre. Faisons demi-tour. C’est la voix de la sagesse qui parle chez ce jeune homme. Pendant ce temps la jeune femme qui chevauche au côté du chevalier, cherche à attirer son attention. Elle veut connaître son nom, elle insiste et plusieurs fois elle l’en prie. – Ne vous ai-je pas dit que je suis du royaume du roi Arthur, gronde-t-il excédé. Par le Dieu tout puissant, vous n’en saurez pas plus ! Ulcérée, elle lui demande la permission de le quitter et de repartir d’où elle vient. Il la lui accorde de bon cœur et la jeune femme fait demi-tour. 11- Une famille prisonnière. Jusqu’à une heure tardive il chevauche en solitaire. Bien après vêpres, à l’heure des complies, c'est-à-dire à la tombée de la nuit, il voit un chevalier et ses compagnons sortir du bois où ils avaient chassé. Ce chevalier, détendu et en tenue de chasse, est juché sur un grand cheval gris fer chargé de la venaison qu’avec la grâce de Dieu il a tuée. L’homme, un vavasseur appelé aussi arrière-vassal, se porte vivement à la hauteur du chevalier de la charrette pour lui offrir l’hospitalité. – Monseigneur, lui dit-il, il fera bientôt nuit et il serait judicieux pour vous de trouver un gîte. Ma demeure n’est pas loin et je peux vous y conduire. Je ferai tout ce qui est en mon pouvoir pour vous recevoir mieux que n’importe qui et je serais enchanté que vous acceptiez. – J’en serai enchanté moi-même, répond le chevalier. L’arrière-vassal aussitôt envoie son fils en précurseur pour rendre la maison accueillante et hâter les préparatifs du repas. Tout joyeux le jeune homme s’élance à toute allure pour porter l’ordre. Le reste des hommes suit son chemin sans se presser jusqu’au logis. L’épouse du vavasseur est une dame charmante et avenante qui lui a fait cinq fils, qu’il chérit. Trois sont encore de très jeunes gens et les deux autres des chevaliers. Ils élèvent aussi deux fillettes ravissantes et aimables. Le couple n’est pas né dans ce pays mais dans le royaume de Logres et ils sont ici prisonniers depuis longtemps. Une fois arrivés dans la cour, la dame vient à leur rencontre tandis que les fils et les filles se précipitent pour servir notre chevalier. Après l’avoir salué, ils l’aident à descendre de cheval. Toutes ces attentions ne sont pas destinées à flatter le regard du seigneur du lieu, ils savent simplement que leur père veut les voir agir ainsi. Quand ils ont désarmé le chevalier, l’une des filles lui attache au cou son propre manteau qu’elle vient d’enlever. Ai-je besoin de préciser qu’il fut bien traité au souper ? Quand le repas fut terminé on aborda nombre de sujets. L’arrière-vassal chercha à savoir qui il était et d’où il venait, sans toutefois lui demander son nom. – Je viens du royaume de Logres, répond-il immédiatement et jamais je n’étais venu dans ce pays. En l’entendant le vavasseur est saisi d’une étrange frayeur ainsi que sa femme et ses enfants. Chacun en est troublé. – Quel malheur, cher seigneur s’exclament-ils tous, que vous soyez arrivé jusqu’ici. Vous êtes perdu désormais ! Vous serez comme nous exilé et maintenu en asservissement. – Et d’où êtes vous donc ? interroge le chevalier, – Du même pays que vous monseigneur. Ils sont nombreux ici les hommes valeureux venus de votre pays qui sont en servitude. Que la coutume qui l’exige soit maudite et que maudit soient ceux qui la maintiennent ! Les étrangers au pays sont contraints d’y rester car si on est libre d’y entrer on n’est plus libre d’en repartir. Dans votre cas, je crois que vous n’en sortirez jamais ! – Si ! Je sortirai, répond le chevalier, si je le peux. – Comment croyez-vous pouvoir sortir de cette terre ? Dans ce cas tous les autres prisonniers devraient pouvoir sortir sans peur et librement, car il suffit qu’il y en ait un seul qui sorte de cette prison tête haute, pour que tous les autres puissent le suivre sans que nul ne s’y oppose. C’est alors que le vavasseur se souvient d’avoir entendu dire qu’un chevalier intrépide serait entré par la force pour délivrer la reine que détient Méléagant, le fils du roi. C’est certainement ce chevalier, se dit-il, il faut que je l’interroge. – Ne me cachez rien sur l’affaire qui vous a menée ici, reprend-il, en retour je vous donnerai tous les conseils qu’il me sera possible de donner. Dites-moi la vérité, vous êtes venu jusqu’ici pour la reine et la sortir des griffes de gens aussi peu loyaux que des Sarrasins. Si vous réussissez, nous en tirerons tous avantage. – Je n’y suis pas venu pour une autre raison, répond le chevalier et tous les efforts que je fais, le sont pour la délivrer, mais je ne sais pas où elle est enfermée et j’ai grand besoin d’informations. Conseillez-moi si vous en avez la possibilité. – Monseigneur, vous vous êtes engagé sur une voie déplaisante qui vous mènera jusqu’au Pont de L’Épée. Si vous suivez mon conseil vous irez à ce pont par une voie plus sûre et je vous y ferai conduire. – Est-elle aussi directe que la voie où nous sommes ? interroge le chevalier dont le désir est d’aller au plus vite et au plus court. – Non, admet le vavasseur, c’est au contraire une voie plus longue mais elle est plus éprouvée, moins risquée. – Alors je n’en veux pas. C’est pour la voie directe que j’attends vos conseils. Je suis prêt à partir. – En vérité, monseigneur, vous ne gagnerez rien en empruntant cette voie… Demain vous parviendrez à un passage, le Passage des Pierres, où vous recevrez rapidement un mauvais coup. Voulez-vous que je vous le décrive ? Il ne peut y passer qu’un seul cheval et deux hommes ne pourraient s’y engager de front. Il est bien gardé et bien défendu. Il ne suffira pas de vous montrer pour qu’on vous l’abandonne et il faudra accepter les coups d’épée et de lance et riposter d’autant pour que l’on vous cède le passage. Quand il eut bien tout expliqué, l’un de ses fils, un chevalier, s’avance. – J’irai avec ce seigneur, décide-t-il, si vous n’y voyez pas d’inconvénient monseigneur. – J’irai avec lui moi aussi, ajoute l’un des jeunes gens. Ce que leur père permet volontiers. Ainsi notre chevalier ne chevauchera pas seul et c’est très bien ainsi car il aime la compagnie des guerriers. Il les en remercie. Là-dessus tout est dit et on accompagne le chevalier à sa couche. Il pourra se reposer s’il en a envie.