Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète

                                                La littérature est un art de combat.  
   Le roi Arthur donne son accord et Méléagant quitte la cour. Maintenant, il n’a de cesse de retrouver Bademagu son père. Le jour de l’arrivée de Méléagant dans la ville de Bade,  le roi y tient une cour plénière et joyeuse car c’est son anniversaire. Une foule de divers gens est venue et dans la grande salle se pressent chevaliers et demoiselles, parmi celles-ci se trouve la sœur de Méléagant. Je vous en parlerai plus loin et vous dirai ce que j’ai en tête à son sujet et pourquoi je la mentionne ici. Si j’en disais plus je ferais du tort à mon récit et je ne veux pas le rendre difforme, l’altérer ou le violenter, je veux qu’il suive un bon et droit chemin. Pour le moment je m’en tiens à ceci : comme pour montrer son importance et sa valeur, Méléagant s’est composé un visage altier qui émerveille tout le monde. Devant tous, petits et grands, il s’adresse à son père d’une voix forte.
     – Mon père, que Dieu ait votre âme ! Répondez-moi, s’il vous plaît : Ne doit-il pas être rempli de joie et n’est-il pas de grande vaillance celui qui, à la cour du roi Arthur, est redouté pour la valeur de ses armes ?
    – Mon fils, tous ceux qui ont quelque valeur doivent servir, honorer et vivre en compagnie de celui qui a un tel mérite, admet le père sans en entendre plus.
    Après ce compliment, le roi l’invite à ne pas cacher davantage les raisons de ce discours et dire ce qu’il veut, ce qu’il cherche et d’où il vient.
   – Sire, expose Méléagant, je ne sais pas si vous vous souvenez de ce qui fut convenu dans un accord trouvé par vos soins entre Lancelot et moi. Devant plusieurs témoins il fut dit, c’est ainsi qu’on l’envisagea il me semble, que nous devions nous tenir prêt à combattre au bout d’un an à la cour d’Arthur. J’y suis allé en temps voulu et, ayant pris toutes les dispositions nécessaires, j’ai fais tout ce que je devais : J’ai réclamé et attendu Lancelot, mon adversaire, mais je ne l’ai pas trouvé. Il a du s’enfuir au loin. Mais, avant de repartir Gauvain m’a juré que si Lancelot n’était plus en vie ou s’il ne venait pas dans les délais, on ne repousserait pas le combat et qu’il s’en chargerait lui-même à la place de Lancelot, j’ai sa parole. Arthur n’a pas de chevalier aussi prisé que lui, c’est bien connu. Mais avant que ne refleurissent les sureaux, pour peu que l’on en vienne aux prises, je verrai bien si cette renommée est en accord avec les faits. Ah ! Comme je voudrais que ce soit maintenant !
    – Mon fils, soupire le roi, tu passes à bon droit pour un insensé et qui ne le savait pas l’apprend par ta bouche aujourd’hui. On dit que le cœur vaillant est humble et c’est vrai mais l’homme égaré par son orgueil sera toujours en proie aux folies. En disant cela mon fils je pense à toi, à ton peu de qualités, à  ton cœur sec et sans douceur, trop fermé à la pitié. Tu es enflammé de fureur voilà pourquoi je te méprise et c’est cela qui te fais déchoir. Si tu es valeureux, il se trouvera toujours assez de gens pour en témoigner au bon moment. Un homme de bien, un gentilhomme, ne doit pas vanter sa bravoure pour mieux rehausser son exploit, un exploit se suffit à lui-même. Tu n’augmentes pas ta renommée de la valeur d’une alouette à faire ton propre éloge et tu perds mon estime. Je te fais la leçon mon fils, mais à quoi bon ! Parler à un forcené c’est peine perdue et on ne fait que s’épuiser à vouloir guérir un fou de sa folie. Le bien que l’on enseigne clairement ne vaut rien si on ne le met pas en œuvre, il s’envole et se perd aussitôt.
     Après cela, Méléagant est hors de lui, en proie à une rage violente. Non, jamais aucun humain, je peux vraiment vous l’affirmer ne se montra plus enflé de colère, et dans sa fureur le lien filial qui les liait se rompt car il oublie tout respect pour son père.
    – Rêvez-vous tout haut ou délirez-vous ? S’enflamme-t-il quand vous me traitez d’insensé lorsque je viens vers vous pour vous parler de moi ! Je croyais bien aller comme vers mon père et mon seigneur et vous n’en donnez pas l’apparence. Vous m’insultez outrageusement plus qu’il ne convient. Je suis persuadé que vous ne pourriez même pas expliquer pourquoi vous l’avez fait.
     – Oh si ! Je le peux.
     – Alors pourquoi ?
    – C’est que je ne vois rien en toi qui ne soit pas folie furieuse. Je connais le fond de ton cœur, il fera encore ton malheur. Et maudit soit celui qui viendrait à penser que Lancelot, le si courtois, prisé de tous, sauf de toi seul, se soit enfui par peur de toi ! Mais il est peut-être mort et enterré ou enfermé dans une prison dont la porte est si bien verrouillée qu’il ne peut en sortir. S’il était mort ou en détresse, j’en aurais une douleur extrême. Quelle perte ce serait si un être aussi rayonnant de tant de beauté, si sage et si serein était si tôt anéanti ! Mais plaise à Dieu que cela soit faux !
     Bademagu se tait, mais ce qu’il a dit est tout de suite compris par sa fille, la demoiselle dont il fut question plus haut. Son cœur s’est serré en apprenant ce qui se dit de Lancelot et elle devine aisément qu’on l’a jeté dans un cachot, puisque l’on n’entend plus parler de lui. Que Dieu me damne, se dit elle, si je prends le moindre repos avant d’en avoir des nouvelles sûres et vérifiées. Sans s’attarder un instant de plus, discrètement et sans avertir, elle court se mettre en selle sur une mule rapide, belle et docile. Pour ma part, je peux affirmer qu’elle ne sait pas où elle doit se diriger. Ne sachant rien et n’interrogeant personne, elle prend le premier chemin qu’elle voit et file bon train, à l’aventure, sans escorte ni serviteur. Elle se hâte poussée par le désir d’atteindre son but ce qui ne sera pas pour si tôt, malgré ses efforts et ses bonnes intentions. Elle sait qu’elle ne doit pas s’arrêter, ou lambiner quelque part plus que nécessaire si elle veut mener à bien ce qu’elle s’est mise en tête de faire, c’est à dire sortir Lancelot de prison après l’avoir retrouvé si cela est possible.
   À mon avis elle devra parcourir nombre de pays et bien les explorer avant d’avoir de ses nouvelles, mais à quoi bon vous raconter ses courtes haltes, ses longues étapes. Elle a eu beau prendre tous les chemins, monter, descendre, remonter, un mois ou plus s’est écoulé sans qu’elle ait appris plus que ce qu’elle savait en partant, c'est-à-dire rien !

                             
29- Le prisonnier
 
  Un jour qu’en traversant un champ, tandis qu’elle avance triste et pensive, elle distingue une tour au loin, près d’un bras de mer. À une lieue à la ronde on ne voit ni cabane ni maison. Ce qu’elle aperçoit c’est la tour de Méléagant, là où est enfermé Lancelot. Elle ignore cela, pourtant à peine l’a-t-elle vue qu’elle ne peut en détacher son regard ; elle sait, dans son cœur, qu’elle vient de trouver ce qu’elle a tant cherché. Après tant de peines elle touche au but, la chance l’y a conduite.
   Elle s’approche de la tour, tend l’oreille et concentre toute son attention en en faisant le tour. Elle examine le pied puis fixe le sommet, elle la voit haute, massive, puissante et reste surprise de n’y voir ni porte ni fenêtre, sauf une lucarne étroite et basse. De plus, cette tour si haute et droite ne possède ni escalier, ni échelle. C’est à dessein, elle en est persuadé, afin d’y tenir enfermé Lancelot. Elle en aura le cœur net avant même d’accepter de manger. Elle s’apprêt à crier « Lancelot ! » mais elle se retient en entendant une voix au sein de cette étrange tour qui se lamente et appelle la mort. Il veut mourir ce prisonnier qui a trop de douleurs, il ne fait plus cas de lui-même, ni de sa vie !
    – Ah ! Fortune comme ta roue a tourné de façon cruelle ! gémit-il à voix basse et rauque. Tout s’est inversé, j’étais au sommet, je suis tout en bas, j’étais heureux, me voici malchanceux. Fortune, tu pleures sur mon sort mais avant tu me souriais. Malheur ! Pourquoi se fier à elle quand elle vous abandonne si vite. À cause d’elle je suis tombé du sommet dans le gouffre le plus bas. Fortune, en te moquant de moi tu t’es mal conduite !  Mais que t’importe, rien ne compte pour toi, quoi qu’il arrive. Ah ! Sainte-Croix, ah ! Saint–Esprit ! Voici ma destruction, ma perte, mon anéantissement. Gauvain, vous de si grand mérite et de vaillance sans égale, je m’étonne que vous ne m’ayez pas porté secours ? Vous tardez trop, vraiment, c’est un manque de politesse. Vous qui m’aimiez tant, vous auriez pu me venir en aide. De ce côté de la mer comme de l’autre, dans les lieux écartés comme les plus secrets, partout moi je vous aurais cherché. Je le dis sans hésiter, durant sept années, voire dix avant de vous trouver, si je vous savais en prison…
    Mais à quoi bon ces remontrances ? Je ne compte pas assez à vos yeux pour que vous preniez tant de peine. Comme dit justement le proverbe  « On a du mal à trouver un ami mais le mettre à l’épreuve est facile, c’est dans le besoin qu’on le reconnaît. » Hélas ! Cela fait plus d’un an que je suis captif dans cette tour. C’est une faute Gauvain de m’abandonner ! Mais vous n’en savez peut-être rien, c’est la raison de votre absence et je vous blâme peut-être à tort, j’en conviens. Quelle injure et quelle injustice de l’avoir cru ! Je suis persuadé que rien sous la voûte du ciel ne vous eût empêché de venir me sortir de là si vous l’aviez su. C’était votre devoir en tant que compagnon, pour notre amitié, autrement je n’en parlerais pas. Mais c’est dérisoire ! Et cela n’arrivera pas !  Ah ! Puisse-t-il être maudit de Dieu et de saint Sylvestre et anéanti, celui qui m’enferma ignominieusement. De ceux qui vivent c’est le pire, Méléagant l’envieux qui m’a endolori autant qu’il le pouvait. !
    Lancelot se calme à cet instant. La jeune fille tout en bas l’a entendu,  il n’y a plus de temps à perdre, elle touche au but et elle l’appelle.
    – Lancelot ! crie-t-elle de toutes ses forces, vous qui êtes là-haut parlez-moi, je suis votre amie.
   Mais lui, dans la tour n’entend rien. Et elle crie de plus en plus fort. Finalement, malgré sa faiblesse il croit l’entendre et s’étonne. Qui peut l’appeler ? Il entend la voix mais à qui appartient-elle ? Naturellement il l’ignore. Il se croit le jouet d’une illusion. Il regarde autour de lui, mais dans cette tour il est bien seul.
    – Mon Dieu, s’exclame-t-il, qu’est-ce que j’entends ? Quelqu’un parle et je ne vois personne ! C’est invraisemblable. Pourtant je ne dors pas et mes yeux sont grands ouverts, si cela m’arrivait en songe je pourrais croire à une tromperie, mais je suis éveillé et cela m’inquiète.
    Non sans peine il se lève et se dirige à petits pas, très lentement vers l’étroite ouverture. Il s’y appuie cherchant la bonne position. Quand il jette un regard dehors, comme il peut, il voit celle qui a crié. Qui est-elle ? Mais au moins il la voit. Elle l’a reconnu aussitôt.
    – Lancelot, je me suis lancée de loin à votre recherche et j’ai enfin touché au but, Dieu merci je vous ai trouvé ! C’est moi qui vous ai demandé ce don quand vous alliez vers le Pont de l’Épée et sans hésiter vous me l’avez volontiers accordé. C’était la tête de ce chevalier que je haïssais et que vous avez tranchée après l’avoir vaincu. Pour ce don, pour ce service que vous m’avez rendu je me suis mise d’en l’obligation de vous sortir d’ici.
    – Grand merci mademoiselle, répond le prisonnier, je serai largement récompensé de vous avoir rendu ce service si je suis sorti de là. Si vous y parvenez je vous fais la promesse ferme, au nom de l’apôtre Paul, de vous rester à jamais tout acquis et, devant Dieu, il ne se passera pas de jour que je ne fasse tout ce qu’il vous plaira de me commander sans qu’aussitôt vous ne l’obteniez, dès lors que ça ne dépend que de moi.
    – Ami, lui crie la jeune fille n’ayez crainte, vous sortirez de cette prison et recouvrez votre liberté aujourd’hui même. Pour vous reposer vous ferez un long séjour à votre convenance et il n’y a pas de choses qui vous plaisent que vous n’obteniez selon vos désirs. Ne soyez plus inquiet mais d’abord il me faut trouver un outils quelconque dans les parages pour que vous puissiez agrandir ce trou jusqu’à ce que vous puissiez passer.
    – Que Dieu vous accorde de le trouver. J’ai avec moi de la corde en quantité que cette engeance m’a donné pour que je hisse mes repas, un pain d’orge très dur et de l’eau trouble qui me donne des nausées.
     Au bout d’un temps de recherche la fille de Bademagu découvre un pic bien taillé aigu et solide qu’elle lui fait parvenir et le voici qui frappe et qui martèle et qui creuse à force de coups. Épuisé par ses efforts il sort enfin dès que c’est assez large. Quel soulagement pour lui de se voir tiré de prison et de s’échapper de ce lieu où il fut si longtemps gardé au secret. Le voici en abondance d’air pur ! Soyez certain que pour tout l’or du monde mis en tas pour lui, il ne retournerait pas en arrière.

 à suivre,