Dans cet automne morose quand les peupliers en gris balanciers oscillent sous la pluie quand le corbeau délire en saccageant mes roses on rêve à la Floride, à la Californie et aux palétuviers.
La Charente bout sous l’averse tandis que les pêcheurs en grands échassiers fixent leur bouchon d’un œil désabusé. Au Café du Commerce on parle d’impôts nouveaux pour les particuliers. On sera toujours baisés
dit quelqu’un. Le pays est calme comme un gros tas de bouses. Les journaux égrènent nos supposés soucis : aura-t-on de la neige à Noël dans les Alpes Pour le sky ? Si j’osais je quitterais ce pays mais pour aller où ? Ya raus !
On est dans la gadoue ; jusqu’au cou c’est dit partout, c’est même écrit. La loi des peuples est d’enrichir les rois, les princes et les barons (Eux si grands, nous si petits) et de vivre sous la meule ou en prison.
Certains aspirent au déluge pour remettre les pendules à l’heure. D’autres vont chez les Belges trouver refuge et regarder la pluie tomber. Je pense que j’irai plutôt chez ta sœur celle qui a du feu dans sa cheminée.
(c) Jean-Bernard Papi Oct. 2012
Sabra et Chatila
Il m’avait dit tu viendras demain pour la Sainte Dévotion aux Massacres il y aura ma soeur et mon cousin et nous aurons des armes des mitrailleuses et des couteaux.
Le chef descendra de Saint Jean d’Acre avec les munitions. Il fera un discours violent et beau sur la guerre, les filles et les larmes il dira qu’il faut brûler la mauvaise herbe que ces gens sont comme du chiendent.
Ensuite nous irons en procession jusqu’à Sabra et Chatila le chef en tête et le drapeau des martyrs taché de sang.
Nos femmes et nos fils imberbes chanteront les louanges des courageux petits gars qui ce soir dans l’ombre des orangers célébreront la Sainte Dévotion aux Massacres.
Ce poème parut dans "Point barre" (mars 2013) a fait l'objet d'une critique élogieuse dans La Presse de Tunisie (mercredi 8 mai 2013) sous la signature d'Adel Latrech.
Odeur du ciel, odeur du vent bourrasques, brumes et autans. La mer est folie, folle est la fille
qui court, court, entre les rochers elle est, cette enfant, comme l'escarbille qui dans mon œil m'a fait pleurer.
Odeur du ciel, odeur des gens je ne sens plus ton parfum céans. La terre et l'eau ont mangé ton sourire et le sable, le sable a rempli ton gosier les iris et les lis qui te faisaient languir fleuriront désormais où tu posas ton pied.
Odeur du ciel, odeur des jours je suis las d'attendre ton retour si las que mes doigts sont tombés en poussière. Qui viendra me consoler plus tard maintenant que tu es ombre, ombre et chimère et que l'heure mauvaise lève vers moi son dard.
Odeur du ciel et de l'amour, odeur vieille qui m'embauma un jour et dont le souvenir ici, encore m'émerveille pourquoi faut-il qu'à son tour disant ta mort, le chagrin en mon cœur se réveille.
La visite se fait à midi lorsque le soleil est à plomb… Tout comme aujourd’hui ce vieil homme fatigué. Vêtus du gros drap bleu marine des soldats qui nous irritait la peau nous parcourions les rues cherchant un endroit où nous reposer, comptant et recomptant nos quelques pièces de monnaie. Parfois un sourire, le mot d’une passante nous donnait de quoi discuter autant que le plus épais des livres, mais le plus souvent c’est en solitaires que nous nous baguenaudions. L’aventure, voila ce que nous désirions, et parcourir la ville c’était comme un départ en voyage malgré que nous n’en soyons pas privés. Certains d’entre nous, pour traverser le pays et rejoindre Lille ou Pau, gagnaient la gare en courant pour se retrouver tassés dans un train poussif qui haletait d’un village à l’autre. Il en fallait du temps pour rentrer chez soi ! Mais voila qu’aujourd’hui, il lui suffit de fermer les yeux et de s’ouvrir au soleil pour partir vers une lointaine Afrique. Ces maisons charentaises bancales et rafistolées dont on suppute le proche effondrement sont les sœurs de celles que l’on trouve là-bas. Dakar, Djibouti, Tananarive… Les trains y ont encore cette lenteur essoufflée à laquelle nous étions si habitués. Et toujours traversant ces douars, ces bourgades, ces faubourgs, les mêmes murs blanchis, les cailloux entassés et disjoints autour d’une porte ou d’un volet qui ne tiennent que par le plus singulier miracle, ce bric et ce broc, ce même aspect rouillé, déglingué nous ramenait à la ville. Comme si d’un continent à l’autre, de Petra à Ephèse, de Rome à Lima et du Caire à Saintes, dans toutes les vieilles villes du monde, les bâtisseurs s’étaient donnés le mot pour que le transitoire et l’éphémère côtoient le grandiose des résidences bâties pour les dieux. Ils savaient bien ces architectes que l’homme, comme sa demeure, est peu de chose comparé aux œuvres inspirées par l’esprit. Et pourtant, arrêté là dans son chemin, sous ce soleil et cette menace d’orage, le vieil homme devine à quelques détails combien les bâtisseurs de ces modestes maisons ont cherché à se grandir, à se hausser du col. Celle-ci offre la page blanche de son mur aux jeux d’ombre et de lumière d’un décor de cinéma exotique, plus loin les horizontales d’une balustrade brisent la sécheresse des verticales pour mieux emprisonner le rouge vif d’une passerose et là une faïence jaunâtre voudrait nous faire croire à l’entrée d’un temple mauresque… L’habitation, ici comme ailleurs, est le témoin de nos désirs que l’on se passe d’une génération à l’autre…