Jean-Bernard Papi, romancier, essayiste, nouvelliste et poète
La littérature est un art de combat.
Retour dans la maison des morts .
Poèmes de Guerre.
John Singer Sargent - Soldats gazés
11 novembre
Le temps est revenu des feuilles tombées c'est ainsi une fois l'an mais c'est une fois de trop : il est si mesuré le sable dans leur sablier.
Le temps est revenu des copains disparus de L'Argonne, de Verdun... Sale temps. C'est aujourd'hui qu'il faut les accepter et la mémoire sous les crânes tondus réveille des fraternités. Braves poilus.
Ils racontent : Le tocsin, j'étais alors aux champs j'ai dit : Puisqu'il faut, je m'en vais... Tu prendras soin des enfants... Le fusil, la cartouchière, un peu de vin, on marchait tambour devant...
On était, disait-on, comme les Romains laboureur, tantôt soldat... On sera là pour la Toussaint au plus tard pour mardi-gras et dans une semaine à Berlin...
Le onzième mois, le onzième jour, la onzième heure; le clairon, c'était le moment des labours chez nous, là-bas près l'horizon.
La mort avait sauté mon tour mais raflé les autres, des milliers des couillons, pas méchants, pas féroces.
A côté de moi, au Mort-Homme, un ouvrier qu'on avait sorti de sa noce pour aller faire l'artificier... On a perdu tant de bons gars. C'est bien malheureux tout ça.
Comme les feuilles vont à la terre on s’en ira comme les anciens ceux de Verdun, de Dunkerque et des Glières ceux d'Indochine, ceux du Tonkin ...
Quand le dernier sera parti Rejoindre la poussière des siens faites que les enfants de ce pays aillent en paix une fois encore et que l’Histoire, c’est presque rien, garde nos noms tel un trésor
Ils écoutaient tremblant de froid la litanie des Champs d'Honneur. On avait décidé comme ça que la guerre s'arrêterait pour l'hiver.
Je les revois pauvres soldats certains avaient cueilli des fleurs dans le silence des pierres et des revolvers quelqu'un cria : Mort pour la France !
Et tous soupiraient, malheureux os trop vite enfouis, comment avons nous pu supporter ces temps brutaux, chacun baissait la tête : Oh ! mon enfance...
Dans l'arbre au-dessus un moineau cherchait sa branche, le temps allait basculer vers la neige on allait rentrer chez nous, faire comme avant quand les saisons tranquilles tournaient comme manèges.
Ceux-là, qui se disaient plus malins que les autres les tondirent mirent leurs crânes à nus et déchirèrent leurs robes puis en rirent les poussèrent vers la populace la sale populace aux dents gâtées et aux larges oreilles. Et ceux-là tondirent la jeune comme la vieille ainsi l'on fauche au pré la luzerne-fleur et la renouée.
Qu'avaient-elles fait ces femmes pour agacer ces braves ? Elles avaient fait don de leur ventre d'esclave aux vainqueurs. Je les vois par nature de la race des mères je me dis leur marmot, pour l'honneur.
Certains voudraient que l'on oublie ces heures amères et qu'on les aime. "C'était une époque peu amène ! Si vous saviez comme on regrette, votre mère, après tout, était une femme honnête !"
La bêtise les enveloppe comme un blindage de char mais de toute façon, pour l'amour, c'est trop tard.