Retour dans la maison des morts
Poèmes de guerre
Souvenirs 1
Elle se souvient du jardin de misère
qu'il fallait cultiver parce que c'était la guerre.
Sa mémoire est pleine de gestes répétés
le seau tiré du puits et l'herbe pour les lapins
aux canards les orties qui lui brûlaient les mains
la mesure pour le lait et la poule égorgée.
Elle se souvient qu'il fallait partager
avec les voisins et autant pour la veuve
on échangeait aussi contre une robe neuve
des paquets de tabac venus de l'étranger.
On se parlait tout bas à cause des Allemands
à l'école elle chantait : Vive le Maréchal !
Et son père prisonnier vers Buchenwald.
Etait-ce le bon vieux temps ? Vraiment ?
Doit-elle regretter l'année de ses douze ans ?
Jean-Bernard Papi©
Vieille France
Á Marguerite Audoux
Puisqu’en France on aime tant à se souvenir
Regardons de plus près ce « bonheur d’autrefois ».
Quand tu grimpais dans les crèches pour dormir
Boulée dans le foin sec sans tes sabots de bois.
Harnachons la jument. Le jour n’est pas levé
Mais déjà dans la cour s’abattent les corbeaux
Tôt debout, les femmes qui s'en vont au marché
Avalent l’épaisse soupe qui les tiendra au chaud.
Imaginons le dur hiver, les prairies au lointain
Vers où l’on pousse nos deux mains de brebis
Les trois vaches, la chèvre et le chien Rintintin.
Pour déjeuner voici un quignon de pain gris
Avec un fromage blanc mélangé de queues d’ail
(Un fromage très maigre qui sent le lait caillé).
Á la vache rétive tu mènes cent batailles
Evite la ruade, la corne ou le lait au fumier…
Après la soupe l’enfant aussi fait godaille
Et pour ne rien perdre tu torches ton assiette
Tandis que les chiens et d’insignes volailles
Maigres et affamés te disputent les miettes
Au feu des cheminées on prépare Verdun
Venger Sedan, se faire le Boche à l’estomac
L’armée veut sa revanche et écraser le Hun
Aux soldats, le député promet gnole et tabac.
Ah ! la belle province que celle d’autrefois !
Belle comme à Paris les ruelles de misères
Où l’on crève de faim, où pissent les palefrois
Des riches qui jamais n’épousent les bergères.
Le maître jamais content, le curé le dimanche,
Le gabelou, collent au cul du vilain en galoches
Pour que pousse le blé qui emplira leur panse…
Après la soupe l’enfant aussi fait godaille
Et pour ne rien perdre tu torches ton assiette
Tandis que les chiens et d’insignes volailles
Maigres et affamés te disputent les miettes
Au feu des cheminées on prépare Verdun
Venger Sedan, se faire le Boche à l’estomac
L’armée veut sa revanche et écraser le Hun
Aux soldats, le député promet gnole et tabac.
Ah ! la belle province que celle d’autrefois !
Belle comme à Paris les ruelles de misères
Où l’on crève de faim, où pissent les palefrois
Des riches qui jamais n’épousent les bergères.
Le maître jamais content, le curé le dimanche,
Le gabelou, collent au cul du vilain en galoches
Pour que pousse le blé qui emplira leur panse…
Le bonheur d’autrefois ? C’est bon pour la téloche !...
Jean-Bernard Papi©
Souvenirs 2
Ce sont de vieilles petites filles
blanches et grises
qui poétisent
entre photos et camomille.
Elles écrivent : "Les roses sont fanées
dans le vieux vase..."
Et leur emphase
s'alanguit de mots surannés.
Elles racontent leurs amourettes
en capelines
dans l'Indochine
des capitaines de corvette.
Elles habitent des sous-préfectures
et se souviennent
des valses à Vienne,
Noël à la Kommandantur.
Elles cachent des jardins secrets,
des boucles blondes
et correspondent
avec de vieux messieurs discrets.
Pincent du bec quand elles me lisent
négligemment,
car de leur temps
on n'écrivait pas telles bêtises.
Jean-Bernard Papi©
à suivre,